Chronique du 19 décembre 2009

– Tu ne crois tout de même pas que je vais mordre à l’hameçon ? dit le poisson au pêcheur à la ligne. Ce n’est pas parce que je vis dans une mare que je vais me précipiter sur la première boëtte venue. D’ailleurs j’en ai vu d’autres qui ont essayé et qui en ont eu plein les bottes. Avec ton flotteur, t’as beau faire des vaguelettes, moi je choisis mon rythme en observant tes rides.

 Tu peux faire le mariole, mais tu finiras bien par avoir la dalle et gober ce que je te propose.

 Je connais des embobineurs qui, estomaqués, sont restés sur leur faim.

 Tu sais il y a des moyens d’endormir les poissons.

 Je sais. Je connais une truite qui s’est fait endormir avec de la musique. Mais on ne sait qui de Schubert ou de la truite est devenue célèbre.

 Sans la truite parlerait-on de Schubert ?

 Mais sans Schubert, parlerait-on de la truite ?

 Sans Schubert, on peut facilement inventer une histoire qui finit en queue de poisson…, dit le pêcheur.

 Meunière, dit le poisson.

 Je vois que tu as la pêche, dit le pêcheur.

 Ce n’est pas tous les jours que je parle à un gros poisson, dit le poisson.

 Si je ne t’attrape pas, je ne l’aurai pas, la pêche, dit le pêcheur.

 Contente-toi de ton ordinaire, dit le poisson.

 Lequel ? de demander le pêcheur.

 Dans votre terrarium, oublieux des bateaux qui vous firent naître, vous avez l’habitude de vous battre comme du poisson pourri, répondit le poisson. Et qu’est-ce qui arrive à un poisson qu’on pêche et qu’on ne mange pas ?

 Il pourrit. Alors ? de soupirer le pêcheur

 Tu peux toujours chanter, de conclure le poisson, avant de laisser le pêcheur tout penaud.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
19 décembre 2009