Ronald_Otto.jpg

Ronald Otto, Et pourtant…

« Depuis des années, je vivais en France dans un petit hameau du Massif Central… »

Le récit est lancé, dans le registre d’une frontière non révélée entre le locuteur… « je », et, qui sait ?, l’auteur. Le premier, on l’apprendra vite, s’appelle Laurent Constantin ; le second est Ronald Otto qui nous livre ici son premier roman. L’écriture est alerte, le souffle aussi comme dans un besoin que quelque chose sorte et vite, au fil de petits chapitres cadencés, sur… 506 pages, s’il vous plaît. Le locuteur, lui, est libanais, installé en France, ingénieur qualité informaticien, amené, péripétie de la vie, à partir aux États-Unis « pour cinq à sept ans. »

Ronald_Otto.jpg

Très vite, l’on se trouve emporté dans le flot des rencontres, personnages croqués comme dans une BD, quelques mots précis leur donnant consistance et caractère. Dans la foulée nous voici propulsés dans le loufoque, voire l’incroyable, mâtiné de démesure. « Et pourtant… » Car un personnage principal qui apprécie tout particulièrement le Lagavulin « cinquante ans d’âge », ça convainc, je te le dis, ô lecteur en quête de lecture à même de régénérer l’ordinaire de tes pérégrinations. Tout s’enchaîne dans une langue qui fleure bon le direct et ce qui se bouscule dans le ciboulot, l’auteur ayant lâché la bride à son héros.

Courts chapitres qui se succèdent, rassemblés en ensemble plus vastes sous forme de « Livres », charpentant ainsi un ensemble baptisé roman. Romanesque, oui, avec délires, oscillations entre emportements et retombées dans la fougue déployée de l’imaginaire. Difficile de ne pas se faire piéger par Fatna, l’Érythréenne, comme dans la première partie, à laquelle elle donne son nom, chaque tranche de vie étant placée d’ailleurs sous l’aura d’une rencontre différente. Phrases saccadées, structure verbale souvent, mais aussi regards sur la vie riches d’un vécu qui sort de l’ordinaire. Là perle l’auteur, dans sa culture métissée et sa propre destinée. En résulte une saga aux rebondissements multiples qui aguichent ta curiosité. Tout cela est-il vraisemblable ? Et pourtant… L’originalité du livre ne tient-elle pas dans l’emportement même, sous « pression affective » ?

Soudain, c’est le grand chambardement. Livre deux. Changement de nom du personnage principal sous le nom désormais de Steve Lawrence, changement de lieu, direction les États-Unis, la Californie précisément. L’avion de première de couverture symbolise ce grand départ, un immense décollage en quelque sorte. Nous sommes de plein pied dans une vaste fresque où se rencontrent des personnages marqués par de terribles coups du sort, guerres, décès, déchirures. Et la vie toujours recommencée, avec, à la clef, et là est aussi la prouesse, une dose d’humour jamais oubliée. T’ai-je dit que les sous-ensembles du roman étaient de longueur inégale ? Non ? C’est fait. Cette architecture imprime un rythme vivifiant à l’ensemble.

Il est aussi des pauses, des parenthèses, en quelque sorte, révélatrices des rêves les plus fous, surtout quand ils sont amoureux. Elles ouvrent la rencontre entre horizons différents, mondes occidental et oriental qui soudain s’interpénètrent. Un mariage et hop, nous sommes au coeur d’une société secrète, un clan, disons-le, comme on peut l’imaginer dans la société multiforme américaine. Folie, démesure et improbable entremêlés. Et pourtant…

Rebecca, autre nom, autre figure. « American Dream » débridé, business & love, limousines, « cigarettes, whisky et p’tites pépées » (comme dit la chanson). Le roman n’échappe pas aux pages torrides des thrillers, dans une sorte de saga introspective du narrateur, mitonnée d’inspiration julesvernesque dans les derniers chapitres, le narrateur, dans ses projets les plus fous, se révélant aussi comme un Cyrus Smith nouvelle vague (celui de l’Île Mystérieuse) en ce début d’un XXIé siècle tourné vers l’illusion du savoir absolu.

Et pourtant… T’ai-je précisé que c’était le premier roman de Ronald Otto, ci-devant citoyen de notre honorable société micro-insulaire à Saint-Pierre et Miquelon ? C’est fait, puisque je viens de l’écrire. Tu aurais pu passer à côté. Et pourtant…

Et puis il y a la fin… « Et pourtant… » Pourtant…

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
12 janvier 2010

Ronald Otto, Et pourtant, Editions Bénévent, 2009, ISBN : 978-2-7563-1446-4

Ronald Otto sera à la Librairie Lecturama, samedi 30 janvier 2010, pour une séance de dédicaces