Yvon Le Men et Le Jardin des Tempêtes

Tu as le bonjour de… qui déjà ? – qui se trouve à Bornéo… Il (que je prénommerai A, à qui était destiné le message) me regardait tout étonné ; je tentais de me remémorer la passation d’information recueillie au bout de ma table ; impossible de donner un nom à l’énonciateur du bonjour en question. Un ami artiste avait eu beau jouer le colporteur pour que je transmisse la chaleureuse pensée au destinataire qu’il (l’artiste venu boire une mousse à mon domicile) n’aurait sans doute pas l’occasion de rencontrer, mais moi si, rien à faire, j’avais paumé le blaze que je me devais de préciser à mon pote écrivain ébaubi. L’important n’était-il pas toutefois – me dis-je, histoire de me donner l’absolution -, qu ‘il restât Bornéo dans l’information propre à la rêverie ? Relayer un bonjour à brûle-pourpoint venu d’une terre à mille bornes, eh oh ! ça n’est pas donné tous les jours. Surtout que la nuit était tombée dans le barachois. Et puis on ne goûte jamais suffisamment les œuvres inachevées.

D’ailleurs, n’étais-je pas sorti de ma tanière pour écouter, non pour l’ouvrir ? J’étais dans la salle, à l’étage du Centre culturel, en ce samedi 10 avril 2010, là où il y a peu se produisait Hal Collomb. Au menu, cette fois, soirée poésie avec Yvon Le Men , Breton d’aventure – car d’aventure, il se trouve qu’il soit Breton – venu partager à Saint-Pierre et Miquelon ses explorations d’écriture à l’invitation de l’association Croc’Paroles dans le cadre du festival annuel La Voix des Mots. A l’entrepont, pendant ce temps, comme sur une portée à plusieurs clefs, du théâtre avec une troupe venue de Miquelon. A défaut de bateau pour assurer les liaisons inter-îles, je m’imaginais alors sur un galion empli de trésors ; nos îles recèlent des pépites, n’est-il pas vrai ? la vie culturelle est loin de connaître les mortes-eaux.

Et les deux publics de se croiser dans la coursive au moment de se désaltérer pendant que d’autres sortaient cloper la cibiche de l’entre-deux. Tout le monde était content.

Explorer les frontières de l’indicible, voilà à quoi nous amenait en ce samedi soir sur la terre Yvon Le Men, oscillant entre évocations poignantes et relâchements d’humour. Au cœur de la vie, qu’on se trouvait, je te le dis, en Bretagne, au Mali, au temps des écritures en émergence, en Egypte, chez les Inuits, hier, aujourd’hui, dans les rencontres à fleur de peau et de cœur. Mots germinés (n’ayons pas peur de l’imprévu) dans les rencontres, les voyages, renvoyant les photos de mémoires (celles que l’on prenait avec les boîtes à clic-clac quand ça faisait encore du bruit) dans les oubliettes du superflu, l’écriture venant à point pour transcender tous les instants recueillis.

Les mots donnaient donc de la voix de maître et j’en restais bouche bée. (d’espoir)

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
10 avril 2010