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Yvon Le Men, Si tu me quittes, je m’en vais

Eh bien, j’aurai vécu jusqu’à présent sans le connaître, disons, sans connaître son écriture. Il était aussi inconnu pour moi que je peux l”être pour le chat de mes voisins qui pourtant folâtre dans le quartier, mais indifférent, sans doute, aux bipèdes qu’il côtoie, en-dehors de ses maîtres. D’ailleurs, les chats ne sont ici que les seuls néo-soixante-huitards repérables, bourges dans leurs refuges, anars dans leurs maraudes.

Yvon Le Men est breton ; poète de son état – je n’ai pas dit Etat, bien que la source imaginative soit bel et bien bretonne – ; il est venu, en cet avril 2010 pour la première fois à Saint-Pierre par le truchement d’Alexis Gloaguen, autre Breton, mais Saint-Pierrais également – il est des doubles citoyennetés génératives -, et la rencontre a eu lieu.

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« Si tu me quittes, je m’en vais ». Titre du roman d’Yvon Le Men dans lequel je me suis plongé, vu que c’est le premier ouvrage que j’ai retenu, vu qu’il y en avait plusieurs à la vitrine de Lecturama, notre librairie locale de découvrance. (importance de la vue, soit dit, en passant)

Et du coup, j’ai ressenti comme un pincement – celui qui te triture le ciboulot – ; comment, me suis-je interrogé, ai-je pu ne pas découvrir cet auteur plus tôt ? Question aussi perturbante que lorsqu’on me parle d’un auteur-compositeur-interprète, fort de plusieurs productions, que je ne connaissais pas.

« De l’amour » était-il écrit sur le bandeau rouge enveloppant le petit opus de chez Flammarion. (tiens, faudra que je relise cet ouvrage de Stendhal – association de réminiscences – qui s’inscrit dans mes oublis de lectures d’adolescence) Oui, il s’agit là d’un récit imprégné de folie amoureuse, de délire perlé d’humour, de phosphorescence poétique, le tout ondulant dans une écriture à te révéler les harmonies essentielles. Petits chapitres cadencés, inserts de poèmes qui t’élargissent l’imaginaire, traits aiguisés, mots qui font mouche, ce petit livre ne m’a plus quitté.

J’aime les écritures condensés. « En une seule traversée des regards, Coralie allait démentir la pudeur des Bretons » ; ou bien : « Le chien, le singe et moi, fûmes à deux doigts, à deux pattes, d’entamer une conversation » ; ou encore : «  « Cette nuit-là, je vis défiler devant mes yeux fermés les sept péchés capitaux qui, mis à l’endroit, se changèrent en sept joies capitales. ». Le style d’Yvon Le Men m’a donc immédiatement accroché. Comment résister à l’évocation picturale de son deux-pièces, au chapitre 8 ? Je t’en conseille la visite. Et celle de Pastis, le petit chien, si petit qu’il peut se retrouver dans une boîte aux lettres ? Puis-je résumer mon ressenti en quatre dimensions ? Les deux de l’espace – temps : « Ce mardi 21 mars 1978, à 21 heures, j’étais heureux » : Ouverture. « Le lundi 16 juin 1986, à sept heures du matin je fus réveillé par un coup de fil : (…) Coralie était morte, morte ». Prélude à la fermeture. Vecteurs spatiaux entre Bretagne et Belgique. Fil conducteur de la lettre B, pourquoi pas. Et puis la troisième dimension dans le rapport lecture-écriture porté par la narration elle-même, scandée en courts chapitres. Et la quatrième dans les élargissements poétiques, en italique, pour mieux impulser les envolées.

Je me suis amusé à achever ma lecture au bord de la mer, alors que le printemps nous effleure de ses moires azurés. Chant de la mer dans le léger ressac d’une mer apaisée. Il faisait beau à observer les algues sombres sur les rochers découverts à marée basse. Cette oscillation entre bas et haut et bas et haut, perpétuellement renouvelés rythmait l’harmonie de la découverte. Récit, auteur, lecteur, imaginaire, bonheur. Et j’ai savouré le souffle d’ouverture du dernier chapitre, le cinquantième.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
9 avril 2010

Yvon Le Men Si tu me quittes je m’en vais – Flammarion – ISBN : 978-2-0812-0491-1
Disponible avec plusieurs autres ouvrages du même auteur chez Lecturama