Chronique du 24 juillet 2010

Sarkozy s’est prononcé en faveur des chantiers navals ; normal pour quelqu’un qui est à la fois dieu (en perte de majuscule), apôtre et saint ; le saint, naze, erre ; et puis ça tombe bien, vu, à Saint-Pierre et Miquelon, notre soif de bateaux. Paradoxalement, alors qu’ici la plupart sont en rade, le port est vide, ou quasiment. Les voiliers de la Route Halifax-Saint-Pierre ont mis les voiles, naturellement ; le Cabestan, cata-marrant de la Collectivité à propulsion largement différée, est parti en cure à Terre-Neuve ; le moteur de l’Arethusa de nos voisins a expiré en soupirant « My God ! » ; des touristes en nage, à force de chenaler pour s’ouvrir la voie du bercail, se sont repliés après la commémoration de la prise de la Bastille sur des moyens de fortune (Fortune, n’est-ce pas d’ailleurs ce qu’ils voulaient ?), plus personne n’osant leur chanter : « Ah, ça ira, ça ira… » ; reste en cette fin juillet 2010 le petit catamaran Jeune France qui transporte entre Saint-Pierre et Langlade, depuis sa mise en service, son lot de rescapés des désillusions maritimes. Mais non, tout n’est pas noir au pays de la barbe bleue, bien que les ânes que nous sommes ne voient toujours rien venir. Ne sommes-nous pas condamnés dans ce microcosme clos à faire l’âne pour avoir du son ? Exercice tristounet de la démerde, en quelque sorte.

Il advient que le fatalisme de l’enfermement pèse comme un ciel bas et lourd. Qui tentera de soulever le couvercle ? Cela ne vaut pas le pet d’un âne mort, de se dire le tout un chacun esseulé. Cocotte, minute, d’ergoter un coq en pâte devant sa poulette de roche.

24 juillet 2010. Le beau temps est revenu (surveillé, comme il se doit, par le brouillard à cape grise); ai-je eu la berlue en voyant l’Arethusa rentrer dans le port, tout ragaillardi ? Il est des transports amoureux.

Puis le brouillard a repris le dessus.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
24 juillet 2010