À la découverte d’un FIL

Curieuse, cette vie que nous portons au gré de nos fluctuations. « En ce temps-là, je vivais dans la lune… », chantait Brassens ; chanson que je me plais à reprendre au fil de mes divagations. L’été 2010 m’aura transporté au cœur de Lorient, en plein festival interceltique, une première pour moi qui assistais ainsi à la trentième…, plus que ça, FIL 40è édition ! Ampleur d’un événement festif et musical qui pendant une dizaine de jours mobilise une ville, marchands aux multiples guérites, artistes du visuel, magiciens de bouche, musiciens innombrables sur des scènes réparties en plusieurs lieues, vers l’horizon du port de plaisance, voire même du port de pêche…

Bonheur d’être prêt à se laisser porter au FIL de l’imprévu. Car le livre était aussi présent sur les étals, auteurs présents pour l’amateur de dédicaces, disponibles pour partager sans ambages leur passion imaginative, récits, BD, romans policiers, histoire, rêveries, couleurs multiples, voire même… philosophie.

Je me suis arrêté devant une couverture bleu ciel de nuit, « Asile de lunes » a retenu mon attention, et je parle avec l’auteur Thomas Hess qui me joue quelques pages de son ‘Baptême de Nicobalt » comme un pianiste sur son clavier de touches blanches et noires, au fil du désir de la détente enjouée. « Bienvenue en mer sélène », m’aura-t-il écrit sur la troisième page. Les quarante premières pages peuvent déconcerter, m’avouera-t-il, comme pour s’excuser de l’éventuel effort que je m’imposerais…

J’ai plongé dans le « Bleu de mer », nom porteur éditorial auto-produit. Et le livre de commencer sous forme de dialogue.
« que faisais-tu ces derniers instants ?
Je… marchais (…) je rêvassais en marchant »…

Curieux clins d’œil de vie… en littérature. Tout n’est-il pas perpétuelle réécriture ? « C’est amusant, dit Nicobalt, transporté sur la lune, de se promener au pays de ses idées. Si on admet que sa propre bêtise n’est pas un obstacle à la découverte, on peut partir à l’aventure. » Genre de phrase suffisamment déroutante pour inviter à aller plus avant. Et dire qu’on s’obstine si souvent à ne vivre que dans un univers, réduit au vase clos de son ordinaire, en trois dimensions… Dire qu’il suffit d’une petite porte pour s’ouvrir à d’autres configurations. « Un pas de trop » ? comme dit le premier chapitre ? Être soudain dans la lune, voir la terre, être éveillé…

La philosophie n’est-elle pas vécue trop souvent comme une construction savante, secrète, désarmante et… chiante ? Ici, il n’en est rien et j’ai aimé d’entrée cette autre dimension où l’humour est présent. Sans la grosse tête, puisqu’on la perd… la tête. Curieux comme je me suis en phase de… décompression dès le deuxième chapitre. Adieu les excitations d’une politique française dont la médiocrité atteint les bas fonds de l’arrogance ! Sarkozy ! Pfufffff ! Disparu ! Et tous ces bavardages rebondissant sur l’actualité mille fois desséchante. Je me suis pris à l’exercice de la liberté, en toute pensée (ou vice-versa) : « Souviens-toi, dit Hazarlas, le maître d’accueil en Sélénie – ou sur la lune, comme tu le veux, ô lecteur dérouté -, que toute idée que tu cultives en accord avec ce que tu aimes a de la valeur en tant que fruit de ta libre pensée. » (p.13) Me voilà donc propulsé dans le FIL, le Festival Inter-Lunes. Je m’amuse de tous ces hasards qui se percutent, prêt à goûter une nouvelle part de journée.

Livre construit sous forme de dialogues, dont Nicobalt, le transposé sur la lune, est, avec Hazarlas, celui qui l’a accueilli en pays de pérégrination philosophale, le personnage principal. J’aime ces livres qui te donnent le temps des passerelles, divagation oblige. Peux-tu lire, ô lecteur, un bouquin entier sans divaguer ? Moi, je prends un livre et me mets à le sentir, jusqu’à la reliure. Son odeur est déjà un indicateur, une source d’aspiration à aller plus loin. Ou pas.

Réflexion sur le cheminement de l’être humain, débarrassée d’une construction trop savante ; originalité de la démarche de Thomas Hess. Pourrai-je lui dire que j’ai pensé, comme en écho, au dernier ouvrage d’Edgar Morin, Ma gauche, condensé de chroniques pour ouvrir la voie de l’accomplissement humain, dans la continuité du Big Bang engendreur ? Je me moque, dans un moment de pause, d’un parvenu de la calotte, Benoît XVI, qui pour avoir géré son parcours de vie, se permet d’assimiler athéisme et dérive obligée vers le totalitarisme. Et les excès de l’Opus Dei, nom de Dieu ! Difficile de cerner « le temps de l’homme », titre du sixième chapitre de mon parcours sélène.

Le hasard aura voulu que je poursuive la lecture de ce livre dialogué après m’être imprégné de la dernière publication d’Edgar Morin, ensemble de chroniques écrites sur une période de près d’une vingtaine d’années. Et me voilà saisi de cet aller-retour d’échos sur un sujet semblable : notre destinée humaine et la nécessité impérieuse d’un nouveau ressourcement, en se décentrant désormais de toute urgence. Urgence de définir « une politique de l’humanité » ! Mais comment se donner les moyens d’être des « redresseurs d’espérance », mot final d’Edgar Morin, dans sa dernière publication ?

Le livre de Thomas Hess te plonge, par des dialogues agencés en courts chapitres, dans cette interrogation, par le biais des dialogues entre ses personnages imaginaires.
Je repense encore à la déformation des idées assenées par un porteur de Vérité prétendue, confortée par un statut de privilèges forgé au fil de l’histoire humaine de quelques siècles. Benoît XVI.

« De notre vivant, nous pouvons nous souvenir de la manière dont la Grande-Bretagne et ses dirigeants se sont dressés contre la tyrannie nazie qui voulait éradiquer Dieu de la société et nier toute humanité à certains, en particulier les juifs, qui étaient jugés indignes de vivre.
Tandis que nous méditons sur les leçons de l’athéisme extrême du XXe siècle, n’oublions jamais comment l’exclusion de Dieu, de la religion, et de la vertu de la vie publique conduit finalement à une vision déformée de l’homme et de la société, et donc à une vision réductrice de l’individu et de son destin »
Propos de Benoît XVI à la reine d’Angleterre à Edimbourg (Écosse), rapportés par Rue.89.com – 16 septembre 2010

Raccourci saisissant et amalgame insupportable.

Edgar Morin souligne, quant à lui, que le grand bouleversement est venu de la prise de conscience que l’homme, sa planète, son soleil, n’occupaient qu’une place infinitésimale dans un univers en expansion. D’où le défi pour l’homme de construire un parcours de vie planétaire dans le respect de tout ce qui constitue la biosphère, car il n’est point d’échappatoire.

À chaque être humain d’apporter, dans cette aventure générale, ses propres réponses, foi en Dieu ou pas. L’athée a tout autant sa place. Je me suis demandé si « Le Grand Livre » évoqué au terme des pérégrinations sélènes de Nicobalt, le personnage cobaye principal de ce conte philosophique, était vu comme une réponse nécessaire ; la Chair ne s’est-elle pas fort probablement forgée concomitamment avec le Verbe du quantique des quantiques ?

Là-dessus, ô lecteur, je te laisse ; le cyclone Igor nous frappe et j’ai de l’eau dans ma cave.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
21 septembre 2010

Ouvrages cités

Thomas Hess, Le baptême de Nicobalt, Bleu de mer – 2010 – ISBN 978-2-916227-17-7 Site internet : http://www.asiledelunes.fr

Edgar Morin, Ma gauche, François Bourin Editeur – 2010 – ISBN : 978-2-84951-164-3