Chronique du 5 novembre 2010

Comme une mélodie, au bord d’une rivière. Elle s’appelle Saint-Jean, majestueuse comme un fleuve, dans une anglophonie coiffée du nom sans contestation possible de Fredericton. Frederick, fils du roi George III du Royaume-Uni, du temps, chez les tenants des adversités, des aliénations aux monarchies. Aujourd’hui capitale sereine aux dimensions modestes de la province canadienne du Nouveau-Brunswick, à l’est du Canada immense.

Aurais-je imaginé, quand j’y faisais halte sur ma route vers le Québec, du temps de mes enfants en bas âge, qu’y fredonnait la francophonie sur la portée d’une voix en affirmation ? 2010, je découvre qu’y vivent 8000 francophones, soit plus que dans certains lieux forts de l’identité acadienne néo-brunswickoise, comme Bathurst. Fichtre ! Et grâce à une volonté sans faille, l’on entre émerveillé dans le grand Centre communautaire Sainte-Anne où s’épaulent jardin d’enfants, écoles primaire et secondaire, salle de théâtre, gymnase, lieux de rencontres variés, pour tous âges, points d’exposition, bibliothèque, centre de santé soucieux de prévention… Une réussite propulsée par l’enthousiasme des bâtisseurs et de leurs descendants.

J’aurai été ému, par ailleurs, de découvrir un lieutenant-gouverneur général, d’origine indienne, en cette terre ancestrale de Malécites et de Micmacs. Terre de synthèse dans des dynamiques qui se surpassent, quand dans la rue Queen on peut flâner, insouciant, en français. My God ! Me suis-je alors exclamé d’admiration dans mon athéisme débridé.

Émotion qui se déploie à nouveau, accueilli par les deux principaux responsables de l’école d’artisanat aux arts multiformes de Fredericton – le Collège d’artisanat et de design du Nouveau-Brunswick-, dans les locaux sur quatre étages parallélépipédiques autrefois chargés d’histoire militaire, lui, anglais d’origine, à l’accent feutré chargé des tonalités de l’île source ; elle, francophone, passionnée, convaincue, tous deux tournés vers la volonté d’enrichir la notoriété de leur établissement. L’avenir des grands brassages par l’art qui émancipe et renouvelle. Symbole que les responsables, chez nous, à Saint-Pierre et Miquelon, auraient grand bonheur à méditer.

Et me voilà plongé dans mes propres rêveries, quand « L’Acadie à Grandpré était mise aux arrêts ». Que de chemin parcouru, me dis-je sous les feuilles rougies d’un automne en voie de passer le relais à un nouvel hiver. Passage de témoin dans le rythme d’un temps qui dépasse les déchirures humaines.

Nous étions quelques Français dans la rencontre avec cette terre de brassage dans le dépassement. Fil conducteur pour d’autres écritures. And the angels swing, comme le jouait Stan Getz, me murmurais-je sur le trottoir fraîchement blanchi, pendant qu’une épandeuse noircissait la chaussée d’un bitume odoriférant.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
5 novembre 2010