Chronique du 7 novembre 2010

Je me suis dit en me levant ce matin – une heure plus tard, au même moment, ceci dit, que d’habitude, vu le passage à l’heure d’hiver -, que j’ai eu de la chance. D’abord d’être né, ce qui, conviens-en, est la première étape nécessaire à la prise de conscience. Car si être né est donné à tout le monde, il ne l’est pas pour autant à ceux qui n’ont pas vu le jour, même au niveau du cercle arctique. Mais être né à Saint-Pierre et Miquelon, quel pied ! Un pied que très vite tu hésites si tu dois le mesurer en centimètres, tant tu te trouves très vite partagé entre deux mondes – l’ancien et le nouveau -, comme un cerveau avec ses deux lobes.

Pétri d’une telle introspection, ayant maté le ciel aux couleurs en effeuillage d’un matin qui s’ébroue, je suis allé traîner mes baskets sur le patchwork macadamé de nos épandages discontinus. J’ai rencontré un pote qui me fit in petto une analyse raisonnée du défaut criant de tri dans nos acheminements vers la décharge municipale. J’ai opiné, forcément, vu qu’à cette heure matinale je n’avais d’inspiration que celle nécessaire à ma marche régénérative. Car marcher est, vois-tu, source d’un plaisir intense pour qui inspire et expire en en sortant indemne. Et courir ? Me demanderas-tu. Ça m’intéresse, en effet.

J’ai donc poursuivi ma balade sur la petite RN assoupie de mon dimanche, la tête pleine de la rumeur marine amplifiée d’un vent de sud. Un régal, dans une atmosphère imprégnée d’un halo post-automnal, quand les gris rivalisent de variantes sur la palette d’une aquarelle nébuleuse. Tiens, me suis-je dit, ça ne fouette pas la dump ! Car à Saint-Pierre et Miquelon, l’on en est – nez au vent – en plein non respect de la loi sur les décharges à ciel ouvert. Une béance couverte par qui, on se le demande. Faudrait-il au château un Kafka pour en faire le procès ? N’a-t-on pas assisté à un échange de balles molles entre État et Collectivité sur le thème : « Je te décharge moi non plus » ? Et moi qui voulais m’essorer les neurones dans l’insouciance de l’errance d’un petit matin décalé, entre Nuuk et Gritviken, nos deux fuseaux faux jumeaux, entre lesquels nos coeurs balancent l’espace de quelques jours, quand la France fait mumuse avec Greenwich avant le Canada, notre imposant voisin. C’était donc rapé, du moins en apparence.

Car l’on finit toujours par semer la perplexité à la semelle de ses souliers. À la va-comme-je-te-pousse, eh !

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
7 novembre 2010