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Michel Rocard, “Si ça vous amuse…”

Certes, ce livre a un poids et une densité qui demandent du temps, de la concentration et une bonne répartition de lecture. Je veux parler du dernier ouvrage de Michel Rocard, de plus de cinq cents pages, « Si ça vous amuse », « chronique de mes faits et méfaits », paru chez Flammarion en novembre 2010. Un ouvrage de référence pour qui cherche des repères essentiels afin de redynamiser son engagement social-démocrate.

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Social-démocrate, terme si décrié aujourd’hui, régulièrement malmené, que droite et gauche auront réussi à déconsidérer. Du moins, jusqu’à son retour en force, un jour, revisité par des hérauts du souci de l’autre, du respect des différences, de la lutte pour le vivre ensemble, dans la pleine conscience de la complexité des interactions mondialisées. Un défi, assurément. Mais il y a va de notre survie.

Michel Rocard me fait immédiatement penser à mes propres débuts en politique, quand je me situais plus à gauche que lui, que je le qualifiais de réformiste, inconscient du temps que je perdrais avant de me poser de vraies questions. Fougue de la jeunesse qui se canaliserait peu à peu. Je le dis tout net, je me suis senti bien, en bonne convergence avec l’auteur, tout au long d’un impressionnant parcours d’homme animé de convictions saines.

Il est si facile de ne réagir qu’à partir de clichés à l’emporte-pièce. Pour un impétrant en dévouement public désireux de construire une analyse géo-politique, la méditation de cet ouvrage me semble appropriée. Le parcours de Michel Rocard n’est pas banal, de ses engagements contre la guerre d’Algérie, pour la décolonisation, à vécu des événements de 1968 puis l’après, son engagement au sein du Parti socialiste dans la relation complexe avec François Mitterrand, son expérience de ministre, notamment de l’agriculture et, bien sûr, au poste de Premier, son long vécu de maire de Conflans-Sainte-Honorine, son intense activité en tant qu’élu européen pendant « quatorze ans et demi »…

Pas d’analyses fastidieuses – risque toujours présent quand on pratique le retour sur soi -, mais une articulation entre pensée et action dans ce qu’il aura réalisé tout au long de sa vie politique, à travers ses réussites et ses échecs. Un regard sans concession, précis, convaincant. J’ai aimé cette vérité du propos, cet engagement assuré, sans forfanterie, même si Michel Rocard se révèle fier de ses choix ; on peut le comprendre à la lecture de ce livre de vie.

Occasion aussi d’aborder différentes thématiques, toujours d’actualité, son engagement pour l’Afrique, son implication pour l’adhésion de la Turquie au sein de l’Europe, son discours courageux et vivifiant sur les questions d’immigration… « La France et l’Europe peuvent et doivent accueillir toute la part qui leur revient de la misère du monde ! » Ça décoiffe n’est-ce pas ? Ne te laisse pas insensible. Bien sûr, comme ça, une seule phrase, ça ne suffit pas ; il faut plonger dans le chapitre où il aborde toute cette problématique. Et là, il est des lumières d’espoir. Car tout passe par une vision à l’échelle de la planète, la lutte contre les inégalités, par un développement plus équitable. J’ai alors pensé à une très belle chanson de Gilbert Laffaille, De l’autre côté du mur. Et l’on imaginerait que personne ne cherche à le franchir, ce mur, quand la luxuriance est… de l’autre côté ? Synergie réconfortante, selon moi, entre politique et poésie.

Et puis il est aussi question des urgences écologiques. L’échec du sommet de Copenhague est mis en exergue ; le sort de l’humanité est pourtant en jeu. Terrible réalité que la politique de l’autruche qui prévaut en ce domaine. Or, il y a urgence quand apparaît une nouvelle catégorie… d’êtres humains, les « réfugiés climatiques ».

Plaisir de citer ce passage : « Après tout, le bonheur des hommes est fait d’art, de culture, de sport, de fêtes, d’amitié, de relations interpersonnelles, d’épanouissement familial, toutes choses dont la pratique réelle consomme peu de ressources et guère d’énergie. La bataille planétaire d’aujourd’hui consiste à redonner de l’espace à tout cela dans nos vies, aux dépens de ce qui est quantifiable et qu’il faut limiter. » (p.442)

Une réflexion qui rejoint celle que je n’ai de cesse de poursuivre, au cœur de mon insularité dont les fibres nourricières ont été profondément modifiées, depuis que nous payons – cher – le manque de discernement dans la course au profit qui se voulait dégagée de toute régulation et à la surexploitation des ressources qui en a résulté.

Comment se donner les conditions du développement et d’une société harmonieuse où l’Homme se retrouve ? Il n’est pas, à l’heure des interactions mondialisées, de réponse viable dans une attitude de repli sur soi.

On pardonnera alors quelques excès d’ego de Michel Rocard, dans des formulations au détour des analyses les plus pertinentes : « je me fais certes une assez noble idée de ma trajectoire et de ce que j’y ai fait » ; « votre « modeste serviteur » », à deux reprises pour illustrer deux photographies de l’auteur ; « à l’aune de cette année 2010 où j’écris ce long livre de forme aussi différente, inhabituelle qu’originale »… Mais le respect, devant une réflexion aussi riche, permet de surmonter les petites gênes que l’on peut alors éprouver.

Aussi ai-je goûté le suc de ce vaste tour d’horizons en méditant son aboutissement dans la présentation de ce que pourrait être la Déclaration universelle d’interdépendance, une ambition majeure pour toute l’humanité, pour une « communauté volontaire de destin ».

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
8 janvier 2011

Michel Rocard, « Si ça vous amuse » – Chronique de mes faits et méfaits – Flammarion, novembre 2010 – ISBN : 978-2-0812-3790-2