Dans le sillage “Terre-Neuvas”…

Intensité d’un voyage dans notre imaginaire collectif, nourri du cri des mouettes dans les mâtures, des oscillations tourmentées d’un océan imprévisible ; premier adieu, denier à Dieu ; gueules encore de bois avant la grande traversée ; déchirure des amours séparées ; cap vers les Bancs ; « Saint-Pierre (…) pays d’enfer » ; pêche, enthousiasme et meurtrissures ; marées de cabane ; doris qui s’égaillent dans la purée de pois et la morue omniprésente.

Nous sommes dans la tension exceptionnelle du récit musical proposé par le groupe Terre-Neuvas, chant, vielle, violon et clarinettes venus de Bretagne, rassemblés soudain au Musée de l’Arche, à Saint-Pierre et Miquelon, sous l’immense toit arrondi en forme de coque de navire ; ambiance et décor à l’unisson de la rencontre. Bernard Subert, à la clarinette – comment ne pas vibrer à la profondeur de la clarinette basse ! – et au chant pétri d’une histoire authentique jusque dans ses propres fibres, Gurvan Liard à la vielle à roue électro-acoustique et Pierrick Lemou au violon. Voyage aux tonalités traditionnelles soudain traversé d’envolées déroutantes, comme un coup de vent soudain dans le déploiement trop serein des voiles. Car dans cet univers de voiles tendues vers l’espoir, rien n’était jamais acquis.

Le trio aura su traduire ces temps forts de joie et deuils entremêlés, de cette tension de vie inaliénable malgré les coups de tabac. Était-ce ma propre rêverie qui m ’emportait dans la tonalité « gallo » de la voix off aux « r » roulés comme des galets ? Musique, récit, bruitages, et images projetées sur un écran en angle de scène. Magie de l’émotion partagée jusqu’au mot de fin de Bernard Subert, surpris de s’être retrouvé ainsi de l’autre côté d’une page personnelle, sur la rive ancestrale d’un ailleurs qui résonnait soudain de ses applaudissements enchantés.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
14 mai 2011