Vessie_re.jpg

Yves Vessière, Patchwork

Début du CD aux accents Sanseverino, Les Sénégalaises, dans la rythmique et la modulation, dans un débit toutefois plus dépouillé ; ainsi se seront orientées mes pensées à l’écoute du premier morceau, « Lui plaire encore », ciselée d’humour en ouverture de Patchwork, l’album d’Yves Vessière, un artiste de Montluçon. La flamme manouche est vive en terre de France. Le deuxième morceau est immédiatement d’une tonalité différente, texte plus grave de « Planète malade », appuyé par un piano Fender. Boues rouges, pluies acides, pesticides… Te voilà Damoclès d’un temps mondialisé sans esquive possible ; la gravité de la voix renforce la tonalité générale. Mais vous avez dit patchwork ? En effet, mélodies, mises en forme musicale, thématiques varient au fil des titres. J’ai bien aimé « La soupe » ; comme dans le récit de la petite madeleine de Proust, je me suis senti propulsé aux soirs de ma jeunesse, à la table du quintette familial, avec une rythmique de banjo appropriée : « J’ai appris à lire / Avec les p’tites pâtes « Alphabets » »… Puis d’une scène d’intérieur familière, pourquoi pas une transition vers l’extériorité du printemps ? « Elle est de retour mon hirondelle ».

Vessie_re.jpg Comment ai-je découvert Yves Vessière, me demanderas-tu ? Par la diaspora îlienne et amicale, ô lecteur. Tant est grande la probabilité d’un axe fort entre Montluçon et Saint-Pierre et Miquelon. La beauté de la vie n’est-elle pas dans les fibres d’un immense patchwork, sans cesse tissé par des mains imprévisibles ?

L’auteur-compositeur-interprète nous propose donc quinze titres que j’aurai eu du plaisir à explorer. Et puis j’aime bien Jean Richepin (eh oui, j’ai un faible pour les oiseaux de passage) ; j’ai donc goûté l’adaptation de la Complainte du cœur fidèle. Synthèse entre légèreté et douleur. La vie, quoi. « Poétique attitude », comme l’aurait dit l’ami Marc Robine. Du coup, j’ai réécouté goulument La glu, de Tonio Gémème, dans une mise en forme musicale différente, moins guillerette, du même texte. Et la tendresse qui triomphe, dans tous les cas.

Aurais-je imaginé que je replongerai dans le Leconte de Lisle de mes souvenirs lagarde-et-michardiens ? Mais Les roses d’Ispahan n’étaient pas dans les textes alors retenus. Il est des auteurs que l’on méconnaît à force de réduction. Faudra que je me plonge dans ses Poèmes barbares.

Puis j’ai pensé d’une manière fugitive à Leny Escudero (mes divagations peuvent te surprendre) dans la façon de chanter « le nouveau me plaît bien », dans un texte drôle, bien troussé. Comme tu le vois, ô lecteur, les ambiances varient, mélodies toujours bien vues pour des atmosphères… « patchwork », évidemment. Difficile d’ailleurs, en quelques mots, d’en résumer le contenu. Tu goûteras le contraste entre « Quèque chose de cassé… » et « Qu’est-ce qui fait chanter le monde » sur un rythme de valse. En un seul CD tu découvres tout un kaléidoscope d’inspiration.

Et l’on retrouve un écho de la sonorité initiale dans « La vie », rythme qui colle bien à toute cette cascade qui nous prend pour quelques dizaines. Tout va si vite : « L’temps d’une ritournelle / Quand l’rideau tombe y a pas d’rappels ». Mais pas de quoi se laisser gagner par la mélancolie, oh non ! Cette chanson m’a botté… le dargif. La musique a de ces côtés dopants.

Mais le culotté – je parle de l’artiste forcément -, voilà qu’il nous envoie « Un matin de juillet » qui te prend aux tripes, dans l’intimité de la dernière solitude. Cette chanson, je la réécouterai aussi, c’est sûr. Belle poésie et belle facture.

Bref, on ne s’ennuie pas dans une telle cascade d’évocations. « La parole » a toute sa force, je te le dis. « Je te le dis, toi qui m’entends », comme dit le poète, pour moi qui t’écris aujourd’hui. « Chérie, je t’écris »… Mais non, je ne parle pas de toi, ô lectrice éventuelle, c’est le titre de la dernière chanson d’Yves Vessière, dans une atmosphère de dérision qui fait toujours du bien (même vague) à l’âme. Et le tout sur un rythme flamenco : « Chérie, je t’écris en ce jour de Saint-Valentin / Pour te dire Bonne fête et qu’t’as bien fait d’partir… »

Henri Lafitte, Chroniques musicales
18 août 2011

Référence CD : Yves Vessière, Patchwork – 2010 – Contact : infos@yvesvessiere.com
Site internet : http://www.yvesvessiere.com/