L’amour dans une usine de poissons

Musique, théâtre, politique, que de mises en scène en ce mois de mars 2012 ! La politique, c’est pas pareil… Ah bon ! Et l’amour dans une usine de poissons, alors que la pêche part en botte ? Tu aurais imaginé ça toi ? Israël Horovitz, dramaturge américain, oui. Bon, on n’est pas à Saint-Pierre et Miquelon, mais à Gloucester, Massachusetts ; une usine en rade et l’imaginaire en radada. Neuf personnages dont sept femmes, dans une mise en scène signée Anaïs Hébrard, sur la scène du Centre culturel, dans une alternance à saluer entre deux pièces aux registres très différents. Coup de chapeau à Philippe Pupier qui se glisse ainsi d’une identité à l’autre, avec aisance. Quelle intensité au paroxysme de la pièce !

C’est que le défi n’était pas mince : nous faire entrer dans les derniers jours de l’usine de « fish sticks », alors que celle de transformation du poisson, à Saint-Pierre, a fermé ses portes il y a peu. Aussi étions-nous ballottés entre humour et intensité dramatique, l’intime de chaque salarié se dévoilant peu à peu, personnalités diverses, femmes sous la houlette d’un gérant contre-maître dans l’impossibilité de démêler ses ardeurs de dragueur invétéré de ses responsabilités de cadre d’entreprise, un Dominique Bourel convaincant alias Salvatore Morella. Histoires de femmes, ballottées comme tout être humain entre rires et larmes, Amandine Pinault, très présente dans tout l’espace scénique, Nathalie Victorri, dans son rôle de mère de famille, Louise Flynn, qui a traversé les péripéties de l’usine ; Hélène Lemoine-Edith Flynn, sa fille qui attend un heureux événement. Oscillation perpétuelle des émotions. Quel sera le lendemain de l’enfant nouveau-né ? J’ai accroché aussi au rôle de Josie Evangelista, interprété avec aisance par Bianca Chareyre. Ses larmes nous firent retenir notre souffle, venant d’un personnage si plein de vie. Et Axelle Martin, Célia Vigneau, portant la destinée de deux cousines, l’une plus jeune emportée dans le maelström de la liquidation de l’entreprise où elle fait ses premiers pas. Sylvie Bry, enfin, inspectrice-qualité du nom de Catherine Shimma qui se trouvera du coup elle aussi au chômage.

Tableau incisif de ces destins d’hommes et de femmes, dans leurs errements, leur vie difficile, leur humanité et leur sens du rire ou de l’absurde, malgré tout. Et la vie qui doit prendre le dessus sur l’adversité. Ah ! que nous accompagnions volontiers les coups de pied rageurs de Florence Rizzo (Amandine Pinault) à ce sort impitoyable !

La mise en scène apportait les respirations nécessaires dans cette journée fatidique en ouvrant les soupapes pour que, par-delà le thème abordé, nous sortions, après le feu nourri des applaudissements, avec le sourire d’une belle pièce de théâtre forte de connotations intensément partagées.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
13 mars 2012