Naufrages et aventures en mer

« Ô ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines… »

Curieux comme cette phrase ne me fait pas penser à Victor Hugo, son auteur, mais à Joseph Lehuenen, une figure désormais disparue de l’Archipel, et qui relatait avec passion les aléas de notre vie insulaire. Les naufrages sont incontournables. La carte du grand cimetière marin que constituent nos îles ne fait-elle pas partie du patrimoine que l’on accroche à nos murs ?

Aussi n’ai-je pas résisté à l’émotion de découvrir un ouvrage, beau dans sa dimension, ses couleurs, la qualité de son papier glacé, dédié aux « Naufrages et aventures en mer de l’antiquité à nos jours », texte de Nathalie Meyer-Sablé et superbe iconographie de Christian Le Corre, aux éditions Ouest-France.

À première(longue) vue, ô lecteur salant, salé, verrais-tu un rapport entre Sindbad le marin et notre propre épopée maritime ? Celle-ci ne nourrit-elle pas notre imaginaire ? À l’instar de ce travail passionné et passionnant de monsieur Élie Claireaux qui nous aura fait découvrir, lors d’une interview télévisée, sa recherche méthodique pour retracer l’épisode douloureux du naufrage le 9 avril 1847, de la Clarisse, à l’Anse à l’Allumette, avec 63 jeunes graviers de 12 à 26 ans, venus du Cotentin, tous enterrés sur place, dans une fosse commune.

Ou encore, le naufrage du Transpacific qui aura nourri l’inventivité de Francine Langlois dans son livre de contes récent, “Belen, petit bout de soleil”…, pour des pages très évocatrices.

Ne suivons-nous pas avec attention la recherche conjointe pour retrouver l’Oiseau blanc et… le Ravenel ?

L’ouvrage de Nathalie Meyer-Sablé nous inscrit dans une longue continuité d’aventures, de quête, cap vers une multitude d’horizons, Saint-Pierre et Miquelon se trouvant forcément sur la route des navires drossés à terre ou engloutis dans la tempête, dans l’inconnu en furie. Le naufrage de la Nathalie, le 29 mai 1826, nous transporte dans nos eaux (p.92-95). Trois rescapés – des Granvillais -; un récit qui te prend aux tripes. L’assistance en mer nous parle au tréfonds de nous-mêmes, que la pêche se déroule à Terre-Neuve, au Labrador ou en Islande. Ne retrouvons-nous pas une photo du Saint-Yves, du père Yvon ? (p.98) L’évocation des sociétés de sauvetage a toute sa force, pour nous qui bénéficions d’une antenne avec bateau approprié de la Société nationale de sauvetage en mer. (p.100-105)

La lecture de l’ouvrage retenu par les lycéens de Saint-Pierre, Touriste de Julien Blanc-Gras, m’aura frappé, notamment lors de l’évocation de l’épisode du naufrage de pêcheurs malgaches auxquels l’on ne daigne même pas prêter assistance. Un moment fort et douloureux de l’ensemble des récits ici consignés.

Et puis j’ai ressenti un lien étrange entre le récit du naufrage de l’Aventure aux Îles Marion et Crozet, dans l’Hémisphère Sud (p. 88-91) avec certains éléments narratifs de l’Île Mystérieuse de Jules Verne. Fil conducteur entre imagination et terribles réalités en quelque sorte.

Chaque épisode est relaté d’une manière concise et convaincante, en quelques pages, tenant le lecteur en haleine.

Comme tout insulaire, l’on vibre à la seule évocation de tout épisode de fortune de mer. Et le drame survient dans tous les lieux de la planète ; nous voilà au cœur d’une odyssée partagée, dans l’espace-temps de la destinée humaine, “de l’antiquité à nos jours”, précisément. Ne nous inscrivons-nous pas dans la continuité du « temps des découvertes », avec les pêcheurs qui auront précédé les explorateurs qui, eux, du coup, ont laissé des traces sur le grand livre de la mémoire. Mais que de disparus, anonymes, dans le tourment des flots déchaînés !

Comme le mentionne Alain Canatous, dans sa préface :  «  Peut-être plus encore hier, prendre la mer ne fut jamais un acte anodin. Le goût de l’aventure, l’esprit de lucre, les finalités politiques et pour beaucoup la nécessité de gagner sa vie s’accompagnaient de ce risque majeur ».. Peut-être plus encore hier ?… Mais la mer n’est jamais à prendre à la légère, le naufrage récent du paquebot italien Concordia est là pour nous le rappeler. Mais mesurons-nous à l’échelle de ce que devrait être la solidarité humaine, tous ces naufrages des boat people de par le monde ?

Comment ne pas être sensible à une autre dimension, importante elle aussi pour l’ensemble de l’éco-système, des « naufrages polluants » à une époque où la course au profit induit des négligences coupables ?(p.130-133)

Le lecteur est tout à la fois frappé par les récits ainsi rapportés qu’à des illustrations particulièrement nourries et captivantes.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
5 avril 2012

Nathalie Meyer-Sablé et Christian Le Corre, Naufrages et aventures en mer, de l’antiquité à nous jours – Editions Ouest-France – 2004 – ISBN :4485.01.07.10.04

Disponible à la librairie Lecturama