“Récits de l’ailleurs” – édition 2012

À peine sorti de l’école à soixante berges, j’ai remis ma chemise de lycéen, une façon comme une autre d’essayer de faire comme si, du moins pour comprendre le choix des lycéens de Saint-Pierre et Miquelon pour leur prix annuel, « Récits de l’ailleurs », dévolu jeté cette année sur Julien Blanc-Gras pour son roman globe-trotter : « Touriste ». Et très vite, je me suis senti en phase, pas trop décati en somme. On entretient les illusions qu’on peut, comme les chaussées de Saint-Pierre, en quelque sorte.

Rythme vif, phrases brèves et cadencées, dès les premières pages, humour en tête de mât – ou dans le sac à dos, comme tu veux -, chapitres condensés qui se succèdent au fil des découvertes de celui qui un beau jour botte en touche sa peau d’adolescent. Cap sur l’Angleterre pour la mise en forme. Cascade d’observations, lieux, compagnons d’un moment, ambiances, touches incisives qui campent très vite l’ambiance, chaque fois. Mais on n’est pas dans le superficiel pour autant. En guise d’exemple, cette phrase relevée parmi tant d’autres, suite à une expérience dans une usine de poisson où le narrateur côtoie des immigrés clandestins venus d’horizons divers : « Je travaillais à l’usine pour pouvoir voyager. Ils avaient beaucoup, beaucoup voyagé pour venir travailler à l’usine. » (p.290)

Et hop, on se retrouve en Colombie, histoire de défier le trouillomètre, des autres et de soi-même. Il est vrai que le nom n’évoque pas au départ une ambiance Club Med. Voir la Colombie et mourir ? Possible, loin d’être sûr : « Quand la mort rôde, la vie réplique. » (p.47) Comme le mentionne un personnage rencontré dans le périple : « 99% des habitants de cette planète ne sont pas des criminels ». (p.33). Mais naïveté et fleur à la boutonnière, s’abstenir toutefois. On n’est tout de même pas dans le voyage pépère, genre colo pour adultes qui s’emmurent dans une « usine à soleil ». (p.77). De toute façon, je connais quelqu’un qui a vécu un an en Colombie et qui est capable de m’en parler d’une manière très détendue. Alors, pas question de bouder le plaisir de suivre le narrateur sur le chemin de la Cordillère.

J’ai remarqué que j’en avais encore pour une dizaine de dépaysements complets. Mais déjà, ô lecteur mathurinien, je peux te dire qu’on ne s’ennuie pas. Bravo les jeunes ; vous avez mis dans le mille. Bombay ! « Dès l’aéroport, on est aspiré par les arômes de l’inde, l’encens, les épices et la merde. » (p.49) J’ai goûté la précision de cette évocation : « L’intimité n’existe pas, il y a toujours quelqu’un dans votre mètre carré. » (p.50) Quelques flashes pour nous faire ressentir efficacement… l’inexprimable de la misère. Difficile de ne pas se regarder dans sa posture douillette de lecteur… Contrastes qui défient l’imaginaire.

À ce stade, j’ai décidé de te laisser comme deux ronds de flan, ô lecteur fugace. C’est que j’ai autre à faire que tapoter sur mon clavier ; le pèlerinage sur le sentier des Beatles m’a accroché ; bref, je te retrouverai à la fin du bouquin, je crois, au « Mozambique où l’on se fond dans le paysage » comme il est précisé dans la « table d’orientation ».

On ne s’ennuie pas, je te l’assure. Je vais me servir un glass et je poursuis sur les traces de Jack Kerouac around the world. Ciao ! (Je n’ai pas vu comment on dit ça à Bénarès). Je m’en vais au diable vauvert… (normal, c’est le nom de l’éditeur)

J’oubliais. La première de couverture contribue d’entrée au dépaysement. Bien sûr.

Et puis j’ai reposé le livre là où ça tombait bien – une table certainement -, ivre de pays visités et du fourmillement d’observations choc, enjouées, haletantes. C’est que « le touriste finit toujours par rentrer chez lui », comme le dit l’auteur page 113. Celui-ci sort bien sûr des sentiers battus. Ne sommes-nous pas allés « de l’autre côté du mur », comme chante Gilbert Laffaille ? Et des murs, ce n’est pas ce qui manque… Comment ne pas réagir, par exemple, à l’ « épisode malgache, où l’on regarde les hommes sombrer » ?

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
1er avril 2012

Julien Blanc-Gras, Touriste Éditions Au diable Vauvert – 2011 -ISBN978-2-84626-295-8

Disponible à la librairie Lecturama