Sur l’océan des mémoires

Si d’aventure mon chemin d’écriture t’intéresse, ô lecteur ès mathurinades, sache que je viens de vivre une page peu banale de rencontres, en Bretagne et à Paris, en ce printemps 2012, guitare en bandoulière, cordes vibrantes de cette insularité qui me pousse plus que jamais à écrire et composer.

J’aurai donc cheminé gaiement pendant trois semaines, frappé de ces larmes qui émaillaient les joues de Terre-Neuvas, à Saint-Malo et dans le Morbihan. Âme bouleversée comme un gamin, je te le dis. Chanter « Mathurin, fils de calfat » et ressentir ainsi de pareilles vibrations émanant des chevaliers de l’océan, ça t’imprime des émotions inaltérables dans la boîte à souvenances. Quel bonheur pour moi de m’être retrouvé avec des Patrick Demay, Lionel Martin, Fernand Girard, Victor Horel, Daniel Jacob et autres figures imprégnées de salin ! Jamais je ne pourrai oublier ce moment où Lionel Martin, président de l’Association Mémoires des Terre-Neuvas, aux côtés de Victor Horel, m’auront fait cadeau de la peinture du dernier trois-mâts goélette venu sur les Bancs de Terre-Neuve, peint par ce dernier. J’en étais tout retourné en chantant « Le trois-mâts de l’errance ».Tous les jours mes pensées vont vers les Bancs de Terre-Neuve, de me dire Victor. Et la mer bleuissait quand remontait le chalut gorgé d’enchantement.

Je me serai retrouvé petit garçon devant ces mémoires ancrées dans une histoire que méconnaissent les manuels. Jacques Cartier sera venu à Saint-Pierre et Miquelon certes ; mes héros sont les pêcheurs, obstinés contre vents et marées. Tout à coup, je vivais en direct tout mon imaginaire, en chantant chez Maria, autour d’une brandade de morue à la mode du Portugal.

Comment oublier la voix de Daniel Jacob, venu dans nos îles sur le Pierre Vidal, en 1967, et sa richesse expressive en entonnant, à Baden, des chants à vous faire vibrer l’âme à fleur de peau ? Comment ne pas revivre ces instants chaleureux, au bar le P’tit mousse, au Bono, avec Du Vent dans les voiles, chorale d’hommes, porteurs de chants de mer, avec qui j’aurai partagé la scène à deux reprises. Et Claude, l’un d’entre eux, venu chez nous comme mécano à bord du Bretagne, pendant de nombreuses années. Qu’il aura fait bon évoquer l’inexprimable !

Oui, j’aurai vibré d’une émotion particulièrement forte quand Olivier, le fils de Jean-Yves Lerudulier, ancien radio terre-neuvas, m’aura à son tour remis une peinture pour exprimer la joie de notre rencontre. Ainsi va la chanson qui nous autorise des heures privilégiées. J’en ai encore la larme accrochée à la corde de LA.

Autre moment intense dans ma vie soixantenaire quand je me serai retrouvé avec Jean-Claude Mahé dans un duo de bonheur dans un bar de Pont-Scorff au « Rat qui pète », nom à vous effeuiller le vague-à-l’âme. Une première pour nous, qui nous amenait à laisser s’exprimer notre complicité en terre bretonne, après quinze années de destinées centrifuges.

En guise de respiration provisoire, en fin de chapitre, pour en annoncer d’autres, une soirée lectures et chansons, à Paris, à la librairie de l’Outremer, Orphie, en compagnie d’Alexis Gloaguen, publié une seconde fois par le grand éditeur Maurice Nadeau, une soirée organisée par l’éditeur Bruno Doucey, avec en filigrane le 101è anniversaire de… Maurice Nadeau. Bruno Doucey avait souhaité cette rencontre, pour donner suite à notre convergence, au sein de son livre Outre-Mer, trois océans en poésie où il m’aura fait le bonheur de retenir une de mes chansons, « Fleurs de suroît ».

Et soudain ne me remet-il pas un exemplaire de « Terres d’Outre-Mer, Voyages à travers mots », édité par Scérén, pour l’Education nationale, à destination de tout le réseau scolaire de France et d’Outre-Mer, avec « Fleurs de suroît », qui côtoie un texte d’Alexis Gloaguen intitulé « Soudain, c’est un mascaret… » ? Un grand bonheur. Un lien fort entre ma vie antérieure et ma vie d’artiste aujourd’hui.

De quoi me donner envie de poursuivre mon aventure de balladin des rives.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
23 mai 2012