Ce n’est pas à une brasse ! Saint-Pierre et Miquelon

Familles dispersées, que ne connaissons-nous cela, insulaires que nous sommes, quand les enfants s’égaillent ! Mais fini le défi plus compliqué que le « 22 à Asnières » quand il fallait faire preuve de patience dans les bureaux de poste, en métropole, pour donner des nouvelles. Ou ces lettres qu’il eût été préférable de transformer en petits bateaux pour qu’elles arrivassent au gré des flots à Saint-Pierre et Miquelon.

Aujourd’hui, Internet prolonge la table familiale. Il suffit d’un portable, de part et d’autre de l’éloignement virtuel, ou d’une tablette et l’on échange alors, peut-être plus d’ailleurs qu’à la maison, dispersés dans le même enclos, qui vaquant à ses jeux vidéo, qui à « Plus belle la vie », qui à la pizza du jour ou à l’installation d’une douche dernier cri.

Il est aussi des familles qui vivent dans cet éclatement/rapprochement dès qu’un membre d’une cellule familiale se transplante sur nos îles pour quelques mois, voire plus longtemps, le temps d’une mutation professionnelle. Qu’il en résulte un opuscule, voilà de quoi retenir l’attention, histoire de voir plus loin : « Ce n’est pas à une brasse ! Saint-Pierre et Miquelon ». Son auteur, une femme venue en 2007 exercer sa profession de médecin, Sandrine Pautard-Le Dimet. Un condensé d’échanges, de courriels, qui nous fait partager l’intime du vécu de part et d’autre de l’Atlantique, dans l’ordinaire du quotidien, ancré sur l’anecdote, certes, mais qui fait sens. Pas d’épanchement d’ordre professionnel, mais des scènes de la vie de tous les jours qui ont le charme de nous accrocher, par leur fraîcheur, la note précise, la sensibilité inter-générationnelle. Des observations sur la découverte de notre nature diversifiée, quelques expressions qui feront partie d’un patrimoine ensuite partagé agrémentent la lecture. Flotte sur l’ensemble un parfum d’humour qui réchauffe le tout.

À cet échange de mails (de mels, d’e-mails, de missives, donc), se greffent quelques chroniques sous le titre porteur de « En direct du Barachois – Chroniques d’une maillou ». Ne dit-on pas localement maillouse, pour féminiser ce terme générique ? Bref, ce terme est ici assumé, sans acrimonie, dégorgé comme pour être mieux goûté, tonalité de bonne humeur sur le clavier. « Pour faire un beau voyage il existe un nombre infini de recettes. En revanche, pour faire un long voyage, quatre valises de quatre-vingts kilos, un mouflet de dix ans et un fil à plomb suffisent. » (p.43) J’ai apprécié cette tonalité dominante. Oui, il aura fait bon observer « la danse des canards », à l’aéroport de Dorval, au sortir de l’avion et le « sourire niais » que l’on se doit d’arborer. Il est des phrases qui résument bien la qualité du regard dans le désir de s’ouvrir à l’exotique, lequel ne se résume pas à une quête de champs de canne à sucre : « C’est une terre lointaine que cet archipel, dans l’espace et dans le temps. Un petit village pentu de montagne cerné par l’océan où les bateaux enneigés bordent des maisons de pêcheurs emmitouflés comme des Inuits. » (p.44) Tout n’y est pas, certes, si l’on veut évoquer la dimension archipellienne, cette phrase évoquant plus principalement Saint-Pierre, mais le cœur y est et l’âme aussi. On s’y retrouve bien, dans notre façon de faire les courses, en fonction des rotations des navires qui nous approvisionnent. L’on reste un brin perplexe, peut-être, dans l’utilisation du terme « char » qui m’évoque plutôt ma non-québécoisité ; ou pour la farine « Robin Wood » (Robin Hood) ; ou les « terre-neuvas » (terre-neuviens étant ici plus approprié) contrebandiers qui risquent de « finir au gnouf » (p.50) ; ou du « saumon derrière l’île aux Moines » (p.53) ; sans doute sommes-nous plus convaincus par les « whippers » qui vous balaient peu ou prou le pare-brise si d’aventure le caoutchouc ne reste pas tout simplement collé par le givre. J’ai souri, conquis par cette remarque : « À dix euros le kilo de raisins et six euros l’ananas ou les quatre pommes, avoir un collier de nouilles autour du cou assoit votre position sociale. » (p.46) « Ce n’est pas à une brasse ! Saint-Pierre et Miquelon » mérite qu’on y jette un œil. Que ne passe-t-on trop souvent à côté de nos vécus ordinaires. T’es-tu déjà penché sur la poésie d’une pelle à neige ? C’est ici le cas. L’anecdote sur les taxes à l’importation mérite son pesant de bigorneaux. « J’apprends ainsi que les filtres à thé (code 150128) sont imposés à 6,83% et la cire à épiler (code 344090) à 23,8% ce qui fait grimper le cours du poil à un prix prohibitif. » (p.53) L’une ou l’autre observation, au détour du sentier, peut être ressentie comme dérangeante, mais n’est-il pas incontournable d’échapper à l’unicité de la pensée ? Comment peut-on condamner toutefois une pièce que l’on n’a pas vue ? Il s’agit ici des Liaisons dangereuses : «  J’ai fait l’impasse au nom des principes éducatifs de ma descendance, mais l’absence de critiques a confirmé mes a priori : c’était mauvais ! » (p.54) Le vent de « Nordé » m’aura renvoyé au temps où l’on se faisait taper sur les doigts, par des maîtres intraitables, quand on ne différenciait ni les « é », les « è », les « ê », les « on », « en », « on »… Depuis j’ai sillonné l’Hexagone et le fourmillement d’accents différents m’a rassuré sur la richesse des particularismes assumés.

« Oi Gu Hemen », chante en basque le mot de la fin.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
7 juin 2012

Sandrine Pautard-Le Dimet, Ce n’est pas à une brasse ! Saint-Pierre et Miquelon – Mon Petit Éditeur – ISBN : 978-2-7483-8362-1

Disponible à la librairie Lecturama