Il était une fois des marins

Un curé embarqué à bord des bateaux de pêche – tiens, ça me rappelle le Père Yvon -, un ancien des AFFMAR, et au bout du fil (de pêche), une collation (rien à voir avec le coup de thé) de récits sur la vie des pêcheurs ; « Il était une fois des marins », sous la houlette de Jean-Paul Léger et Maurice Gindreau, nous plonge dans un univers qui parle, avec ses différences, à partir d’un point d’ancrage, l’Île d’Yeu.

10 km de long, 4 de large, 23 km2, ça te dit quelque chose, ô lecteur insulaire ? En regardant la forme de l’île, ça m’a troublé. Mais l’océan n’est-il pas ce qui nous unit ?

Variété immédiate des approches, des témoignages, entre ceux plus éloignés (la pêche au temps de la deuxième guerre mondiale, par exemple), plus proches de nous (une sortie de pêche au merlu en 1974), et te voilà prêt pour une belle aventure de découverte, entre ce qui nous rapproche et ce qui nous différencie. Pêcher de part et d’autre de l’Atlantique a sa part de subtilités, bien sûr. Mais que dis-tu de ce genre d’expressions relevées au cours de la lecture des seules premières pages ? Je cite : « La sanction ne tardait pas à venir : Sacré moudit (maudit) branleur ! » (p.24) Ou encore : « Quel chantier pour “dépatouiller” tout ça ! » Et : « J’ai un peu de mal à me déhaler ! » (p.44)

J’ai été frappé – anecdote au passage -, par un nouveau clin d’oeil de la vie. Ayant découvert Royan pour la première fois cette année, j’ai été frappé par cette ville reconstruite intégralement après la guerre, suite à sa totale destruction par les bombardements alliés. Et je tombe sur ce passage : « Royan : toutes ces maison éventrées, quelle vision de désolation ! Il ne restait que des ruines ! » (p.26) Autre découverte récente, celle de l’île d’Oléron et de son phare de Chassiron à l’extrême pointe. Puis : « bientôt le phare de Chassiron se détache dans la brume du soir. « Çui-là qui veut prendre une douche, on arrive à Chassiron ! » » (p.41) J’aime quand s’entrechoquent imaginaire de mes lectures et chiquenaudes de la vie. C’est ce qui fait le charme de nos pérégrinations.

Techniques de pêche, vécu à bord, organisation du travail…, nous pouvons nous pénétrer ainsi des adaptations dans un environnement éloigné du nôtre, en accompagnant des aventures individuelles qui toutes aiguisent notre curiosité. Comment ne pas être captivé par l’établissement du premier campement en Terre-Adélie ? Récit qui rappelle le nom d’un capitaine valeureux, Max Douguet, dont on aura oublié qu’il fut le premier à y mettre les pieds « après Dumont d’Urville ». (p.58) Nos manuels comportent tant d’omissions… Plusieurs de ces récits ici rassemblés ont été un jour publiés dans Le Marin. Sans doute peut-on prendre conscience, au détour des pages, de la constante adaptation dont les marins auront toujours dû faire preuve pour répondre aux évolutions. Les techniques évoluent sans cesse et les remises en question sont permanentes. Il n’est pas aisé de pratiquer ce métier. Conciliation permanente entre la tête que l’on replonge dans les livres et « la dure école de la mer. » (p.59) Mystère de cette orientation vers le grand large, malgré les coups du sort éprouvés par la famille. Daniel Jacob, capitaine de pêche à la retraite, de Baden, dans le Morbihan, me faisait part de sa décision de prendre la mer, alors que venaient de périr son oncle et deux autres membres de sa famille. L’on trouve dans ce livre un rappel identique concernant un marin des Sables d’Olonne. « C’est en toute connaissance de cause que j’ai choisi ce métier, précise Jacques, mais cela ne m’a pas empêché de « déguster » en ce qui concerne le mal de mer. » (p.60) Il est des caractères trempés que l’océan seul peut forger. Or « dans cette profession, les pertes humaines sont sept fois plus élevées que dans le secteur du bâtiment, réputé, à terre, comme étant le plus dangereux ». (p.67)

Sortie de pêche au thon à l’appât vivant (anchois en guise de boëtte) en 1974, parcours d’un marin embarqué à… 12,5 ans – avant l’âge d’être mousse ! -, « pièges du Golfe de Gascogne », t’emportent dans un tourbillon d’informations au fil des chapitres. Et des expressions qui nous relient encore : « Hé le mousse, qu’est-ce que t’as branlé là ? » (p.93) ; « bien calé pour ne pas « valdinguer » sous l’effet du roulis ou du tangage » (p.101) ; « la lame (…) nous a capelés de manière brutale » (p.103) ; « il était rendu » (p.120)… J’apprécie les différents niveaux de sonde que peut favoriser un livre.

En tout, quinze chapitres, comme autant de hublots ouverts sur un métier aux facettes multiples. L’on ne peut qu’être frappé par la passion, véritable fil (de pêche) conducteur de toutes ces destinées. On partait enfant, me rappelait Daniel Jacob ; on devenait vite un homme. L’on gagnait souvent son surnom dès les premières classes (de mer) : « Ma spécialité : faire griller des tartines de pain piquées au bout d’une fourchette devant la grille du poële. Voilà d’où vient mon surnom de « Pain rôti » que je garderai toute ma vie. » (p.119)

« Il était une fois des marins » nous relate des sorties de pêche où rien n’est écrit d’avance, joies et déceptions toujours possibles, jusqu’à la vente du poisson à la criée : « Le métier de marin est vraiment une aventure. Aventure du travail : y aura-t-il du poisson ? Aventure de la vente : à quel prix on nous l’achètera ? » (p.153) Aventure partagée jusqu’à la répartition finale : « Tous logés à la même enseigne, les marins partageront les bénéfices comme les pertes. C’est la loi de la solidarité, jusqu’au bout ! » (p.153)

Livre de témoignages captivants tant la passion de l’un se trouve à l’unisson de l’autre, trait d’union dans l’océan nourricier, certes, mais toujours imprévisible. Que de parcours, y compris dans l’Océan indien, au commerce ! Ou ce récit encore d’un Mauricien. Et toujours ce repère, l’île du premier départ d’où partent les souvenirs vers le grand large, quand est venu le temps des cheveux couleur d’écume.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
9 juin 2012

Jean-Pau Léger, Maurice Gindreau, Il était une fois des marins, La découvrance, ISBN : 978-2-84265-716-1

Disponible à la librairie Lecturama