Stéphane Hessel, Vivez !

« Vivez ! » J’adhère, forcément, à un tel impératif. Son auteur, Stéphane Hessel, n’en est pas à son coup d’essai. Souviens-toi, ô lecteur, de son « Indignez-vous ! » Les étudiants québécois n’en renouvellent-ils pas à leur tour le souffle ?

Il est des verbes qui impulsent, qui bousculent la résignation. A la manière de « Lève-toi et marche ! » Le mouvement est leur essence. Pas besoin d’objet complémentaire qui les dépouillerait de leur vitalité. Que n’as-tu entendu dans ton enfance : Mange ta soupe ! Apprends ta leçon !… Tu vois bien qu’il y a là déperdition d’acceptation. Ne te sens-tu pas sujet d’un objet qui t’étouffe ? Impératifs d’autant plus terribles quand le verbe cède le pas au nom qui l’accompagne : La porte ! Ta gueule ! Squelette d’existence quand le Verbe n’est plus.

Mais, « Vivez ! » C’est autre chose, pas aussi évident que ça en a l’air, malgré les apparences, redondantes. D’abord, ça tient dans un petit livre, tout étroit, que tu peux glisser dans la poche intérieure de ton veston, où dans celle de ton jean. Un « Vivez ! » d’enthousiasme d’autant plus crédible qu’il émane d’un auteur de 93 ans, qui ne craint pas, dans ce petit livre d’entretiens avec deux journalistes, de toucher le coeur de notre existence, jusqu’à l’acceptation de notre finitude. C’est de cette acceptation que sourd le mouvement même de la vie.

« S’élever soi-même en responsabilité », quel que soit l’âge, quel beau défi ! A renouveler indéfiniment, jusqu’à l’ultime rive. Et peut-être laisser trace dans les mémoires, de cette absolue nécessité. Galets infinitésimaux sur le chemin à relais de l’humanité. « Nous sommes des êtres ambivalents. Nous avons beaucoup de choses lourdes et dangereuses en nous, mais nous en avons aussi d’autres plus généreuses et progressistes. C’est en essayant d’harmoniser les uns et les autres qu’il est possible (…) de parcourir le chemin de notre vie… » (p.15) L’humilité en est le pendant indispensable. Stéphane Hessel a le propos précis, qui sait nous toucher et nous emporter dans le partage. Des thèmes existentiels sont donc au rendez-vous, avec simplicité de langage et grande clairvoyance.

Vivre sur une île ne nous extrait pas du sort de l’humanité ; les enjeux sont désormais planétaires, interconnectés ; cet opuscule d’entretiens nous donne une impulsion supplémentaire pour prendre toute la dimension de cette interpellation enthousiasmante. « Ce qui me donne un certain espoir, une certaine confiance, c’est la possibilité que neuf milliards de cerveaux travaillent ensemble à vivre mieux dans la générosité et le respect mutuel. » (p.29) En la matière, il ne s’agit pas de faire preuve d’angélisme ; les embûches sont inéluctables. Mais « cultiver l’amour » (p.29), dans ses formes multiples, n’est-il pas un vrai programme ? Thème ordinaire ? Que nenni… Aimer, dans le rapport privilégié à l’autre, aimer dans le respect, interaction à goûter goulûment.

Quoi de plus beau que tous les clins d’oeil de la vie, au détour de l’imprévu ? Je ne suis jamais rassasié de toutes les surprises au détour d’un sentier. Lire Stéphane Hessel, aussi positif dans son orientation, malgré toutes les cruautés subies au cours d’un vingtième siècle fou, c’est prendre le temps de mesurer ce qui est essentiel dans la marche, toujours renouvelée, vers le… bonheur. Ainsi prend-on conscience des chances que la vie nous réserve, et de la nécessité de faire en sorte, chacun à sa manière, de les partager. « Je pense que la gratitude vis-à-vis du réel est une des forces sur lesquelles on peut s’appuyer, et qui peut même vous donner la possibilité de faire du bien aux autres. » (p.37) Le repli sur soi n’est en effet que trop mortifère.

Stéphane Hessel met en exergue la force de la poésie pour s’élever soi-même, entretenir sa « longévité, physique et mentale », savourant la joie de dire et dire encore des textes appris avec passion, dans une démarche vers la beauté qui transcende nos ordinaires et nous font oublier les souffrances. Aussi nous livre-t-il, dans les dernières pages, un florilège de textes retenus pour la chaleur de leurs impulsions. Verbe qui devient chair, chaleur et antidote à l’adversité.

« Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure » aura écrit Apollinaire…

Et le livre d’entretiens de s’achever sur un florilège de charme condensé.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
28 mai 2012

Stéphane Hessel, Vivez ! (Entretiens avec Edouard de Hennezel & Patrice Van Eersel) – Carnetsnord/éditions Montparnasse – ISBN : 978-2-35536-061-9