“Un feu sur la mer”

Le livre, je me le suis procuré en mai 2012 à la librairie Lenn ha Dilenn, à Vannes. Le propriétaire des lieux, un tantinet bourru, répondait brièvement par la négative à toutes mes demandes. Non, il n’avait pas. Soudain, « Un feu sur la mer » – titre de l’ouvrage sollicité -, par Louis Cozan, lumière aussi fugitive qu’intense, il avait. Et j’étais content.

J’ai tendance à me souvenir des conditions dans lesquelles un livre me tombe entre les mains. Cela fait partie du plaisir de la lecture que ne permet pas le téléchargement sur tablettes, nous privant par là d’une atmosphère, des odeurs, des lieux, voire des pages du bouquin. Ah ! Le pif dans l’embrasure d’un nouveau texte, quel plaisir !

Ouvrage paru en 2010, préfacé par Eugène Riguidel, « Un feu sur la mer » nous emporte dans l’univers tourmenté des phares, surtout que nous sommes en mer d’Iroise, dans des eaux agitées ; « mer d’Iroise qui sait si bien cacher, sous une lumineuse beauté, sa violence crasse » (p.89) du coup j’ai une pensée pour La Chambre de veille, d’Alexis Gloaguen, forcément, où il relate son séjour sur l’île d’Ouessant.

Je me suis trouvé à méditer cette phrase de Victor Hugo, en ouverture du livre : « Il y a deux choses dans l’édifice, son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde. C’est donc dépasser son droit que de le détruire. » (Victor Hugo) Flash soudain pour le phare du Feu rouge de mon enfance et celui de Galantry, tous deux abattus. Aux portes du Nouveau Monde, tournés vers l’avenir, n’avons-nous pas été trop influencés par l’indifférence à l’Histoire ? Sans doute avons-nous changé depuis, mais il est des erreurs irréparables.

Quand l’impétrant – le nouveau gardien – est hissé dans la tempête sur le phare de la Jument, à deux mille mètres dans le sud-ouest de Ouessant, nous voilà, lecteurs, dans le feu d’une action qui sort de l’ordinaire. Conditions de vie, travail à effectuer sont rapportés ici avec beaucoup de précision, par une écriture qui laisse une belle place à la rêverie. La suggestion pour les modalités de lecture de Queffelec en fait partie. (p.40) Te voilà pris soudain dans un épisode de sauvetage dans le phare, un des gardiens s’étant blessé, à te couper le souffle. Très vite aussi, tu découvres l’ordinaire d’une vie où tout est réglé comme une horloge, sécurité absolue oblige. « Notre mission, purement de prévention, demande une tranquillité d’esprit intégrant parfaitement l’importance de notre rôle dans la sécurité et la solidarité maritimes. » (p.58)

Au mitan du livre un chapitre où s’entremêlent accélération – nous en sommes à l’électrification – et retour sur son enfance, pour puiser ce qui a pu le déterminer dans ses choix, de mécanicien embarqué à bord des pétroliers d’abord, puis de gardien de phares. Le pluriel s’impose car nous suivons l’auteur dans plusieurs de ses affectations. Sans doute suis-je particulièrement sensible – pour une raison évoquée plus haut – à ces mots, depuis le phare du Stiff, sur l’île d’Ouessant : «  La nuit est vraiment tombée maintenant et l’éclair du Créac’h vient régulièrement inonder mon promontoire. (…) Il ne fait jamais vraiment nuit à Ouessant, même la pleine lune peine à humilier ce fabuleux cyclope. » (p.83) Superbe.

Comment ne pas être empreint de cette force qui soudain déferle sue le phare de Kéréon : « Cinquante noeuds (…) la guerre est déclarée et ce sont les solitaires qui passent à l’attaque, les forces spéciales de la mer, les commando. » (p.103) Deux hommes ne peuvent pas dormir, subjugués, secoués par déferlement d’une violence inouïe : « Tel un plongeur à bout de souffle, le phare émerge du bouillon, bien droit sur le Men Tensel, symbole de la forfanterie des hommes. » (p.104)

Des semaines de tempête – « peur » ou « ravissement », dans un « rapport étrange » avec l’océan sous ses coups de boutoirs -, mais la lumière doit persister, « chaleureux clin d’oeil de la fraternité des peuples de la mer. » (p.105) De très belles pages, assurément. Et puis assister, douillettement assis dans son fauteuil, à une relève épique, n’est-ce pas le privilège de la lecture ? Nous touchons aux conditions météorologiques diverses, brume incluse, aux saisons. Le panel est large et l’on mesure ainsi les facettes d’un métier peu connu, aujourd’hui oublié, du fait de l’automatisation.

Sans doute aurai-je été frappé par cette oscillation incessante entre point d’ancrage et fragilité de l’existence. Aussi le phare est-il ce repère essentiel que ses occupants bichonnent, dès qu’ils le peuvent : « notre vaisseau de pierre ne nous paraît totalement rassurant que s’il présente en toutes circonstances un aspect inébranlable à la folie des éléments. » (p.130) Frappé aussi par l’intensité de l’engagement de ces gardiens « pour que chaque soir, un feu s’allume sur la mer. » (p. 151 – mot de la fin)

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
14 juin 2012

Louis Cozan, Un feu sur la mer – Mémoires d’un gardien de phare – Les oiseaux de papier – novembre 2010 – ISBN : 978-2-916359-47-2