Alexandra Hernandez, Lula-Rose

Les premières notes te campent dans la nostalgie, pizzicato, violon, voix claire dans le déroulé musical ; « Il faudra prendre des nouvelles / De celle qui vivait ici », dans « Vers le Nord », première chanson du nouvel album d’Alexandra Hernandez. Treize titres plus le titre phare repris en Live acoustic. « Des morceaux d’hier »… Le rythme s’envole aux accents d’Amérique, se repose dans le refrain : « Dans ma tête, y’a la mer / Des morceaux d’hier ». Accents country encore dans « Lula-Rose » – le titre rassembleur de ce nouvel opus -, aux tonalités louisianaises, acadiennes, dira-t-on aussi : « J’avais douze ans selon ma mère…./ On m’appelle Lula-Rose faut que je m’en aille. » Nombreux sont les musiciens – dont Thomas Hervé, guitares, voix, banjo – qui auront participé à cet album, cordes, guitares, flûte, bugle, hautbois, accordéon, saxophone… étant au rendez-vous pour une mise en forme soigneusement dosée, tissant ainsi une rythmique fine et féminine, toute de tendresse. Poésie d’autant plus à fleur de peau quand l’auteur-compositeur-interprète enclenche : « C’est aujourd’hui que je m’absente ».

La qualité de l’enregistrement, du mixage et du mastering porte la voix charmeuse de l’artiste, amplifiant d’autant le plaisir de l’écoute. Invite à la rencontre de personnages, dans un temps suspendu où l’Histoire de la conquête des Blancs dans le Nouveau Monde est en filigrane : « Kanalampka »« La fille qui tresse les idées / Porte des roses d’infortune. » Atmosphère suggérée élégamment avec le doigté de la retenue. Puis aussi dans « Madame », dialogue de voix homme-femme, « Aller puis revenir au cou de ceux que j’aime. » Belle chanson, assurément. « Un oublié du temps » m’aura ramené, comme en écho musical à « Belle de nuit » de son album précédent, comme dans un fil conducteur d’écriture en son déroulé. « Ma hanche craque au soir de bal / Mes mains trop lourdes sont des gants (…) Je suis un oublié du temps. » Continuité dans l’empreinte du temps.

Soudain un accent plus bluesy, très agréable, pour chanter « La sortie » citadine – « C’était l’hiver au bord des rues » -, dans la diversité des sources d’inspiration que glane le poète dans ses pérégrinations. Puis une autre sortie, plus champêtre, cette fois, dans l’émergence de la sensualité. « Tourne », tournent les jours ; un, deux, trois, et la vie valse, dans un tableau que l’on peut s’imaginer impressionniste. Est-ce la réminiscence chez moi du Déjeuner sur l’herbe, d’Édouard Manet ? J’aime la chanson qui nous permet de gambader, qui sait, avant de faire… « escale », comme dans le texte suivant : « Reviendras-tu de tes partances / Des vents qui flottent dans ta tête. » Vient le jour de ces retours que la poésie se plaît à effleurer.

Nous baignons dans une ambiance de douceur où virevoltent les rimes. Alexandra campe ses doubles – ainsi le veut le jeu de l’imaginaire -, aime évoquer ces cadres qui l’ont marquée, comme Miscou, que l’on ne peut que découvrir au bout du nouveau monde, au Nouveau-Brunswick. « Pour éclairer le ciel et la route / Une femme sirène a rallumé le phare. » Pour y être moi-même allé, j’ai aimé ressourcer ma rêverie, à l’écoute de cette évocation ourlée, quand « l’automne joue avec »

Car si l’album porte sa part d’intemporalité, voire de vague géographique, l’on revient inexorablement dans un univers d’Histoire boréale, comme dans « 1760 », sur la trace de combats oubliés, qui coulent toutefois dans nos veines. Ne sommes-nous pas, insulaires aux portes de l’Amérique, écriture de l’indicible ? Un bel album, à goûter, dans le suc déroulant d’une musique envoûtante.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
7 juillet 2012

Alexandra Hernandez, Lula Rose, Agorila Productions, 2012

Site internet : http://www.alexandra-hernandez.com

Alexandra Hernandez est à Saint-Pierre et Miquelon, avec ses musiciens, en ce mois de juillet 2012 pour la promotion de son album