Jean-Pierre Andrieux, Les Contrebandiers

Traduction française de « Rumrunners », l’ouvrage « Les contrebandiers », de Jean-Pierre Andrieux nous entraîne dans le sillage des « trafiquants de Saint-Pierre et Miquelon et de la péninsule de Burin, de l’ère de la prohibition à aujourd’hui ».

Livre dense, du Volstead Act de 1919 au trafic frontalier d’aujourd’hui, riche en photos, passionnant car il touche une période clef de notre histoire, mettant en exergue l’ingéniosité qui se joue des interdits outranciers. Sans doute peut-on se rendre compte que le trafic d’alcool dans notre zone géographique est bien antérieur à la loi américaine – le 18è amendement – ; la lutte contre la consommation d’alcool était vive au XIXè siècle au Canada français ; « durant la deuxième partie des années 1800, il y eut un commerce de contrebande très florissant entre Saint-Pierre et Miquelon (…) et ce qui était alors le Haut-Canada. » (p.15) Le Volstead Act concernant l’ensemble des États-Unis allait donnait une autre amplitude à la réponse aux interdits. La mise en perspective des faits contribue à la qualité de l’ensemble.

L’on savoure les anecdotes, au détour du chemin, comme celui de l’émissaire des douanes de sa Majesté qui vient à Saint-Pierre en 1864 « pour obtenir des informations de première main sur l’ampleur de ce trafic. Selon ce qu’on rapporte, il semblait quelqu’un de si gentil et si sincère que les représentants du gouvernement français à Saint-Pierre lui fournirent tous les moyens à leur disposition pour l’aider à trouver l’information qu’il cherchait. » (p.21). De retour à terre-Neuve, il put établir le montant de la… facture. L’Histoire est truffée d’étranges clins d’œil.

Moment clef aussi que la visite du « premier navire contrebandier » sur notre île, le Tomoka, du célèbre contrebandier Bill McCoy, le « père de la Ligne du rhum » (p.26), visite liée à une question de radoub qui devait mettre « Saint-Pierre sur la carte » (p.37)… de la fortune des entreprenants.

N’aurons-nous pas alors été au cœur d’une épopée régionale que les brideurs de gosiers ne pouvaient imaginer. Saint-Pierre et Miquelon, nouveau Moïse sauvant les âmes de la sécheresse imposée. Le 8 juillet 1922 allait marquer un tournant avec la venue du SS Sable Island avec à son bord une cargaison de « 12000 caisses de rye whisky ». Un changement soudain d’échelle qui allait tout bouleverser.

Pas besoin alors de société de développement. Tout se sera enclenché grâce à la rencontre fortuite entre McCoy et Folquet de Saint-Pierre, à Halifax, puis par la démarche d’un commerçant avisé, M. Chartier, auprès du même McCoy. Vous avez dit coopération régionale et brainstorming pour implanter des entreprises canadiennes à Saint-Pierre et Miquelon ? Dès 1922, les distilleurs canadiens ouvraient leurs antennes sur notre Archipel. Money !, comme aurait pu le chanter Pink Floyd ! C’était aussi l’époque où l’on savait baisser des taxes pour favoriser l’exportation ; où le gouvernement aura su écouter les négociants pour lever une interdiction d’importation des alcools étrangers, le 18 avril 1822, ouvrant ainsi les vannes du redéploiement. Intéressant de noter que les sociétés actives dans l’implantation des activités sur nos îles étaient… canadiennes, la seule société française en lice étant beaucoup plus modeste. (p.63) Histoire, ô Histoire, quand tu nous tarabustes ! Quant à l’initiative de la construction des entrepôts, elle n’est pas sortie d’un bureau gubernatorial. Dans les dernières années de l’âge d’or, « quatre-vingt-quinze pour cent de toutes les activités d’importation étaient contrôlées par les distilleries canadiennes elles-mêmes. Les marchands saint-pierrais, qui avaient initialement été responsables de toutes les transactions, furent alors relégués au rôle d’exécutants. » (p.80) Un éclairage qui nous propulse dans la méditation.

Le lecteur non averti découvrira ainsi l’historique du chapeau de paille d’Al Capone, présent à Saint-Pierre ; sortir les bouteilles des caisses en bois pour les mettre dans des sacs en jute afin de faciliter les transbordements, résulterait d’un échange avec le même Al Capone. (p.88) Et de plonger dans toutes les subtilités qui permettaient d’acheminer les cargaisons prohibées à bon port, dans la complexité du jeu et du chat et de la souris à cales rabattues. On se trouve transporté dans un univers d’aventures si peu imaginaires pourtant. Ainsi en est-il par exemple du chapitre consacré à une piraterie peu relatée, contre des navires chargés de whisky, champagne et autres spiritueux. Ah Pierre Mac Orlan, tout un pan à couper le souffle t’aura échappé !

La période dite de « la prohibition » concerne une grande partie de la publication. L’auteur toutefois fournit des éléments d’analyse qui nous amènent jusqu’à un passé très récent où l’on voit le déclin jusqu’à ce que mort s’ensuive du trafic de spiritueux avec Terre-Neuve.

Bel ouvrage, au demeurant, sur papier glacé ; tout contribue à faire de cette publication de Jean-Pierre Andrieux un livre de référence que l’on prend plaisir à découvrir ou parcourir, par tranches d’informations, tant le plaisir d’une telle lecture peut prendre différents cheminements. Sans doute l’appréciera-t-on davantage un verre de malt à la main, à la santé de tous les intempérants de la tempérance. À la santé de nos morts qui auront su tirer parti de l’obscurantisme des prêchi-prêcha.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
25 juillet 2012

Jean-Pierre Andrieux, Les contrebandiers, – trafiquants de Saint-Pierre et Miquelon et de la péninsule de Burin, de l’ère de la prohibition à aujourd’hui – Océans Éditions – ISBN 978-2-9809478-1-0

Disponible à la librairie Lecturama

Monsieur Jean-Pierre Andrieux sera présent début septembre à Saint-Pierre pour une séance dédicaces