Dans le salin de la mémoire…

J’aurai donc eu le bonheur, une nouvelle fois, de me retrouver à Saint-Malo en cette fin avril 2013, au milieu de tous ces seigneurs terre-neuvas – du mousse au capitaine – lors de l’Assemblée générale de l’association Mémoire et Patrimoine des Terre-Neuvas. Comment résumer, dans le salin de l’aventure sans cesse renouvelée, le destin de tous ces « laboureurs de la mer » (Ernest Laffiché), de ces vécus de femmes et d’enfants à terre, dans l’attente du retour que l’océan imprévisible pouvait contrecarrer ?

En écrivant ces quelques mots, j’ai une pensée particulière pour Michel Sablé, de Saint-Malo, dont le père aura fait naufrage sur la goélette le Rouzic en 1932 et qui aura dérivé accroché à une sole de doris pendant sept jours puis recueilli au large de la Nouvelle-Ecosse par un cargo faisant le charbon, direction Venezuela. Un an là-bas avant de retrouver sa Bretagne natale. Une pensée aussi pour Victor Horel, dont le bateau qu’il commandait, le Nicolas Selles, aura été éperonné un jour de beau temps, le 6 mai 1969, sur le banc Fyllas, au Groenland par un « rampe arrière » anglais, le Casio, privé d’homme de quart à la passerelle. Un coup du sort où tout soudain oscille entre la vie et la mort. Survivre c’est alors se souvenir, frémir encore quand le temps a fait son œuvre.

La tête bouillonnante de tous ces souvenirs d’échanges poignants, j’aurai entrepris la lecture du dernier livre paru récemment sur l’épopée des Terre-Neuvas, Des bancs de l’école aux Bancs de Terre-Neuve, d’Ernest Laffiché. Le récit se déroule sous le sceau de la simplicité de l’homme, du premier embarquement à la noria des allers-retours entre terre et océan. D’autres ouvrages l’auront précédé pour relater la même épopée ; aucune lassitude pourtant, mais une curiosité renouvelée, au fil d’un récit factuel perlé de belles découvertes pour qui n’aura pas pratiqué le Grand Métier. (Je me dis que ceux qui l’ont fait seront conquis par tout ce qui les fera résonner une nouvelle fois d’ondes venues du tréfonds de la mer) « Un métier d’homme avec un brin de piraterie où la morue a remplacé l’or. » (p.152)

Un métier où tout est à refaire, à chaque campagne, l’incertitude étant toujours de mise, malgré les connaissances engrangées et l’expérience accumulée. Un travail d’équipe, dans des conditions souvent extrêmes, où chacun porte la responsabilité du résultat, blanc ou noir, suivant les circonstances.

Et toutes les questions qui vous hantent alors quant à l’empreinte laissée par l’homme dans les profondeurs océanes…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
11 mai 2013

Ernest Laffiché, Des bancs de l’école aux Bancs de Terre-Neuve, ISBN 978-2-36063-053-0