Jean-Noël Thominet, Le boutre noir

Farniente d’expatriés français sur un catamaran voguant d’îles en îlots de l’Océan indien, plongée immédiate dans l’intime de tous les prochains acteurs de l’imprévu, ainsi s’amorce le roman de Jean-Noël Thominet intitulé “Le boutre noir”.

L’auteur, je l’aurai rencontré au détour d’une de mes journées de pérégrination saltimbanque ; assis devant la boutique Breizh Ma Bro d’Auray pour quelque éventuelle dédicace, je me suis arrêté, ai enclenché le dialogue du plaisir inattendu ; Jean-Noël Thominet aura été prof, aura connu Madagascar ; le voici en 2013 ancré à nouveau dans cette ville du Morbihan où j’aurai moi-même accroché une aussière musicale transatlantique. Échange rapide où nous nous rejoignons dans notre ouverture à la diversité et notre fragilité lilliputienne face à la complexité du monde.

Plongée soudaine dans le récit qui bascule. Adieu le farniente, place au tragique ; boutre pirate ; catamaran des vacances brûlé, rapt, mise à mort ; trois rescapés, descendus flâner sur un îlot, fuite, pirates aux trousses, deux jeunes survivants en bout de course…

Plongée dans l’exotisme, des paysages évoqués, des communautés Madagascar n’est pas nommé. Mais nous vibrons de “La grande île”, au gré des noms, à l’instar de la Baie des Russes et des marchands kharanes.

“Avez-vous une petite pièce ?” Implore une dame qui nous interrompt rue du Lait à Auray. Nous répondons à l’attente, conscients de notre aide dérisoire. L’auteur s’avoue désemparé. Comment répondre à cette interrogation de misère, lui qui a côtoyé les abysses de celle qu’on ne peut exprimer, quand tout va “de la pauvreté à la misère, de la rue à la boue” (p.69) ?

Je suis dans l’avion qui me ramène à mon illusion de fixité rassurante. Je rebondis au fil du récit haletant. Je me suis laissé emporter par le “sauvage” des mots qui brossent un monde que je ne connais pas. Là réside la force de l’auteur, dans l’entrelacement d’un récit d’aventure et l’évocation d’un immense terroir exotique. Comment ne pas se sentir soudain “sous les tropiques” quand “on devient pluie soi-même et, parfois, on devient boue” ? (P.93) J’ai adhéré à ce roman empreint d’ondes marines et de suc tropical. J’ai haleté au rythme d’une écriture riche de sèves hier encore insoupçonnées. Suspense et dépaysement, voyage vers une contrée lointaine, imaginaire et observations de terrain d’un romancier qui aura vécu là “où c’était le marécage”… (P. 148) C’est que j’aurai ressenti l’accélération de mon souffle au sortir des dernières pages, dans le temps suspendu de mon Airbus à la vitesse insaisissable, fesses rivées à mon siège ailé.

Jean-Noël Thominet et les deux jeunes rescapés de son aventure débridée m’auront tenu en haleine, me laissant avide de partager mon emballement, “boutre noir” dans les nuées aux découvertes épicées. Oui, j’aurai vibré aux accents d’un voyage qui m’aura pris aux tripes, dans un balancement trépidant entre récit fou et témoignage sur un pays oscillant d’humanité au bord d’un gouffre.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
16 juin 2013

Jean-Noël Thominet, Le boutre noir, Éditions du Pierregord, 2012

Pour se le procurer, s’adresser à l’auteur : thominet.jean-noel@wanadoo.fr