Marie Cherrier, Billie

« Alors quoi ? », « Ni vue ni connue »… Deux albums qui m’auront accroché. Pourtant, je n’aurai rien écrit à leur sujet. Pas le temps, sans doute, comme le chante un ami auteur-compositeur d’Hoëdic, en Morbihan. Sauf qu’il est bon de le prendre, ce temps qui, sans qu’on y prenne garde, se contenterait de siffler, glisser, s’enfuir, par les interstices de nos emmurements.

Bref, j’ai marqué la pause nécessaire pour le troisième album de Marie Cherrier, Billie, heureux de retrouver cette voix fluette, captivante cependant, porteuse de mots sarbacanes. S’il suffisait d’un titre pour louer tout l’album, je te suggérerais « Ma parole », ô lecteur, le deuxième sur onze. Beau texte, en vérité, dont je te livre un aperçu : « Ta parole chez nous devient banale / on surfe sur la toile / on croit la censure sur la touche / mais on s’met le bâillon chaque jour plus serré sur nos bouches / C’est la parole / Qui s’envole »… Dans nos sociétés en crise, celui qui n’est pas encore touché n’a-t-il pas pris l’habitude de se taire, de peur que le ciel ne lui tombe sur la tronche ?

Mais la chanson qui m’aura sans doute le plus titillé s’intitule : « T’es où ?» Belle interrogation de qui cherche un maître à vivre, un pôle de référence, quand les grandes figures ont disparu. Che Guevara a perdu de son âme sur les T-Shirts délavés par le mercantilisme. N’avons-nous pas l’impression que nos prétendants au statut d’idole ont une sérieuse tendance à se déliter ? Tension de la voix, accordéon sous des doigts féminins… Émotion au rendez-vous. Besoin de repère : « Ni un jeune déjà vieux / un science-po belliqueux / pour l’arnaque, pour nos regrets. » L’écriture de Marie Cherrier est au cœur de notre France du XXIè siècle. Fil conducteur du regard de… Billie, de chanson en chanson. Comme en écho féminin à l’ode à Billie Jo de Bobbie Gentry, dans tous les recoins indicibles de la vie ?

Jeunesse aidant, la relation à l’autre est très présente, peu évidente quand tout chaque fois, de génération en génération, est à écrire. « La cavale », « À tes dix doigts », « Je m’appelle Billie »… Fièvre de l’amour qui se barre, corps et cœur vidés : « Billie, mes mots se barrent, j’tiens plus l’histoire / mon amour est retombé / Billie, si ça s’enlève, j’crois plus aux rêves / et ma chanson disparaît ». Le tout dans une rythmique enlevée, variée, accordéon, violons, guitares, basse, batterie… Mots qui s’enchaînent, se déchaînent. Voix adolescente, cheminement adulte, déferlement de l’existence au centre des années florales, dans une féminité assurée, fringante, décapante, …scotchante :  « Hey Billie scotch / comme un grain collé / sur tes lèvres mouillées (…) Billie, pour une bague en or / une laisse à son cor / un licou, elle part  ». Reflet d’un monde où le provisoire enivre nos angoisses ?

L’histoire de Billy Jo s’inscrit sur un déchirement sans lendemain possible. L’album, ici, trouve sa mue dans le onzième titre, « Lou, pour la suite… »… Passage de témoin pour l’inconnu, pour le mille fois recommencé, jamais le même car chaque fois humain, dans son incarnation à l’unité, « sous la vieille marque du futur »

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
21 juin 2012

Référence de l’album : Marie Cherrier, Billie – L’autre distribution – 2013

Site internet : www.mariecherrier.com