Maxime Le Forestier, Le Cadeau

Il est des auteurs-compositeurs-interprètes qui t’accompagnent toute une vie, comme pour trouver le mot juste, la mélodie, la vibration qui résonneront de tes propres fibres, dans un émoi partagé, magie de ce qui transcende l’individu, l’auteur, le récepteur solitaire dans son écoute, au beau milieu des autres ou dans le secret de son intérieur. Ainsi en va-t-il de Maxime Le Forestier qui vient de publier un autre très bel album, un « cadeau », en quelque sorte, bien que la première chanson qui donne le titre à l’ensemble, martèle : « Je n’suis pas un cadeau »… On veut bien le suivre sur cette voie. Sommes-nous des cadeaux pour ceux qui nous côtoient ? Balancement des mots, délié de la guitare, en ouverture celle de Manu Galvin qui signe la musique pour ce premier morceau, respiration qui porte des mots clefs sur le devant de l’écoute et d’entrée une grande qualité acoustique, musicale. Ah le doux glissé du violoncelle !

Deuxième morceau. Eh oui ! « Le p’tit air » t’emporte bel et bien dans un univers tendre et interrogateur sur la vie, au fil de cette sensibilité qui nous lie à l’auteur. Chanter pour donner du bonheur qui se poursuivra au-delà de nos disparitions. Ainsi résonne le LA de nos existences, sur l’écume de ce que l’on ressent comme durée à l’échelle humaine. « Il suffit que quelqu’un fredonne.. »

J’ai écouté avec saveur les dix titres de cet écrin. Difficile de se dire quels sont les mots, les airs les plus envoûtants. « Les coups » ? Qui sait ? N’aurons-nous pas eu tous l’expérience de leur multiplicité ? Mais il en est – des coups – plus durs que les autres, dans l’imprévu des relations intimes sans doute. Ne sommes-nous pas tous un jour « p’tite hirondelle » ? « S’envoler, s’envoler / Dès qu’on a les pieds sur terre » quand bien même « Autour du monde / C’est pas l’idéal…, mais »… Le « mais » qui ouvre la voie du nécessaire vécu personnel. Perpétuelle réécriture de chaque destinée humaine.

Arrangements subtils, qualité de la rythmique, des percussions. J’ai accroché aussi à « La bête curieuse » qui aborde avec finesse nos déformations comportementales au cœur de nos vies sous influences. Que sont nos pensées que l’écho altéré de ce qu’on nous assène. « Bête curieuse », à méditer.

Pas de démonstrations dans les engagements. Pourtant l’écriture est le reflet de qui s’est coltiné à un long chemin de vie. On n’écrit pas sans un certain recul « C’était pas grave d’être amoureux / Il y avait des oiseaux »… Ou « La folie » dans un très beau duo avec Camille. Texte de Claude Lemesle. « La folie c’est de voir la vie telle qu’elle est ». Envoûtement que favorise le thème musical choisi par Maxime Le Forestier.

Oui, je me suis senti en convergence avec le huitième titre, « Le caillou ». « On vit posés sur un caillou / Lancé à toute allure / Qui nous emmène on ne sait pas où / Dans l’espace obscur »… Profonde synthèse, toute de légèreté, comme si tous les tomes d’Edgar Morin se trouvaient tout à coup résumés. À chanter, la tête dans les étoiles, sans illusions faciles.

« L’averse » donne un bon coup de patte aux vies embourgeoisées, à nos sociétés déshumanisées sous la férule de l’avoir toujours plus.

Quant au dixième titre, « le papillon », il fallait cette chanson pour te laisser haletant au bord de l’existence fragile. « Je n’suis pas un cadeau », disait le bougre… « Il suffit que quelqu’un fredonne / Le p’tit air que j’avais fait pour toi / Et c’est un peu de nous qui sonne / Dans l’au-delà »

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
17 juin 2013

Maxime Le Forestier, Le Cadeau – Polydor – 2013

http://www.maximeleforestier.net