“Des îles et des hommes”

Je me suis replongé dans l’univers d’Henri Queffélec, attiré par le choix attractif de l’éditeur Omnibus qui aura décidé de rassembler les romans de l’auteur ayant trait aux îles bretonnes comme source d’inspiration, sous le bandeau de convergence « Des îles et des hommes ».

Queffe_lec018.jpg Six titres pour un émerveillement renouvelé. Destin particulier que celui de ce pêcheur de l’île de Sein désigné curé par ses compatriotes insulaires, pied de nez aux parcours balisés, témoignage poignant d’une communauté insulaire en quête de pôle de référence et qui sait s’en doter. « Un recteur de l’île de Sein » ouvre le voyage vers des communautés qui ne peuvent que nous parler. Puis j’ai mis le cap sur Ouessant, à la découverte d’un homme revenu de la guerre des Amériques, du temps où Louis XVI savait être roi à s’intéresser à l’au-delà des mers. Misère des survivantes – tant de leurs hommes auront péri – ; intensité des fibres torturées des îliens bravant toutes les infortunes. L’écriture d’Henri Queffélec nous étreint, nous empoigne. Les souffrances, mais la vie aussi, s’infiltrent dans nos pores. Que découvrirai-je le jour de ma première visite dans cette île qui m’aura marqué, aujourd’hui par l’auteur d’ « Un homme d’Ouessant », hier par « La chambre de veille » d’Alexis Gloaguen ou par « La Mer » de Bernhard Kellermann. J’aurai été frappé chez ces auteurs par l’amplitude des évocations marines, à l’a(e)ncre d’Ouessant. Puissance de cette île qui aura su nourrir de si belles écriture, Moïse granitique du Verbe Océan. Souffle épique dans le parcours d’un îlien revenu au pays : « la grande nuit ouessantine se construisait autour de lui comme une symphonie pour buffet d’orgues, tous jeux tirés, dans l’éblouissement tintamarresque de la mélodie centrale. » (p.203)

Re_ver_Ouessant.jpg Baie de Lampaul, Penn Arland, Stiff… ; il n’en fallait pas plus pour favoriser les digressions ; c’est ainsi que j’ai délaissé momentanément Queffélec pour un superbe ouvrage, « Rêver Ouessant », où dialoguent textes et photographies, de Jacques Poullanouec pour les premiers, Hervé Inisan pour les secondes. Le tout agrémenté d’une très belle préface d’un auteur, metteur en scène et comédien du nom d’Olivier Py. « Il ne suffit pas d’être entourée d’eau pour être une île, écrit-il. Il faut que l’insularité soit singularité et que, risquant plus que ses grèves et ses landes, elle devienne une expérience. » Phrase qui percute, uppercut, n’est-il pas vrai ? « Lire une île, c’est RÊVER », écrit à son tour Jacques Poullanouec. Les portes du rêve sont en effet ouvertes, de page en page, regard d’objectif et poésie entremêlés. Ici, le noir et blanc mettent en exergue le geste essentiel, la pérennité des fibres ; là, la palette des couleurs traduit l’âme en mouvement.

Phare de la Jument. J’ai repris Queffélec. Troisième roman. Pouvais-je me douter que j’allais entrer dans les premiers jours de son émergence, alors que j’aurai lu à deux reprises le récit passionnant d’un de ses occupants ultérieurs, d’un temps plus rapproché, « Un feu sur la mer de Louis Cozan ? » Un généreux donateur pour construire un phare entre Ouessant et Molène, une obligation de réalisation en sept ans pour disposer des fonds, un défi contre vents, roches et marées, tempêtes et coups du sort… Un défi qui remonte au début du XXè siècle. 1904 ! Tiens, une année qui me rappelle curieusement l’abandon de nos droits sur le French Shore ! Mes pensées oscillent comme les grandes ondulations océanes. Point d’exclamation, tête en bas à Saint-Pierre ; tête pointée vers le ciel dans le Fromveur… « Un mille devant la côte un rouleau jouait à briser sans dégerbement, pareil à une dalle blanche glissant contre la mer. » (p.293) ; la poésie panse les blessures. Et le roman dans son imaginaire d’avoir pour socle des faits bien réels.

Et je souris de l’observation de l’auteur quand la décision présidentielle, relayée par voie d’écriture ministérielle – il faut bien que chacun justifie ses prérogatives – arrive chez le préfet du Finistère : « Je décide que le phare sera construit ». Pauvre préfet qui ose s’étonner de la formule mais qui risque la mutation si d’aventure ses pensées venaient à suinter. Pour se sentir proche de ses ouailles momentanées, il ouvre la faille de sa carrière : « si cela continue, il valsera au prochain mouvement préfectoral ». (p.360)

Ah ! Oiseaux encagés ! À trop fricoter avec la liberté de pensée, ne sentez-vous pas venir le couperet ? Cher Henri Queffélec, la lumière de votre « Phare » me parvient jusque dans nos passes embrumées.

La nuit n’est pas encore tombée au moment où j’écris ces lignes, ô lecteur ; le soleil de juillet 2013 darde ses enluminures sur mon rocher ; je te reviendrai dans le courant de mes lectures, quelle que soit la météo.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires 8 juillet 2013

Ouvrages cités

 Henri Queffélec – Des îles et des hommes – Omnibus avril 2013 – ISBN : 978-2-258-10154-8 – disponible à Saint-Pierre à la librairie Lecturama

 Jacques Poullaouec, Hervé Inisan, Rêver Ouessant – Géorama Éditions – 978-2-2-915002-47-8

 Bernhard Kellermann, La Mer – Éditions La Digitale – 978-2-903383-80-0

 Alexis Gloaguen, La Chambre de veille – Édition Maurice Nadeau – 978-2-86231-224-8 – disponible à Saint-Pierre à la librairie Lecturama

 Louis Cozan, Un feu sur la mer – Les oiseaux de papier – 978-2-916359-47-2