Gilles Servat, “C’est ça qu’on aime vivre avec”

Commencer l’écoute d’un CD avec un « petit lexique » à côté du texte, le tout dans le livret qui accompagne la dernière production de Gilles Servat, voilà qui sort de l’ordinaire. « C’est ça qu’on aime vivre avec », première chanson, titre de l’album. Pour qui n’est pas breton – c’est mon cas dans mon mélange basque, normand, breton, anglo-saxon, insulaire, français, américain -, cette attention de l’auteur pour son public est marque de partage et de respect. Merci Gilles. J’ignorais, je l’admets, que je pouvais être « coureur de ribin » (prononcer « in » à l’anglaise) ; comme monsieur Jourdain avec sa prose en quelque sorte. Bref, la chanson assume sa fierté identitaire à l’heure où la Bretagne rappelle aux technocrates parisiens qu’on ne joue pas avec l’âme des peuples. Rythmes cadencés, ballades, engagement se réaffirment ici dans la continuité de l’oeuvre de l’artiste. Voix tendre à l’unisson de « Je rejoindrai ma belle » ; tonalité rockailleuse et soutenue instrumentale assurée de « Sans d’mander la permission ». Treize titres entre tendresse et sens combatif intact.

Mon attention aura été attirée par ce nouvel opus à la devanture de Lenn ha Dilenn, une librairie de Vannes. Et, bien sûr, je me serai laissé imprégner peu à peu par la résonance de fibres à l’unisson de ce qui me fait vibrer.

Il suffisait alors que je me laisse guider par le hasard qui te réserve son lot de clins d’oeil enchantés. Programmé moi-même à Saint-Servan et Saint-Broladre, non loin du Mont-Saint-Michel, en cette fin de novembre 2013, j’aurai trouvé le créneau d’une journée pour aller sur une terre qui porte aussi le sens ce que nous sommes, Granville et tous ses alentours. Quoi de plus naturel alors que d’arriver à Saint-James, dans la Manche, à 17h00 en même temps que Gilles Servat, Yannick Nogué et Nicolas Quéméner sur le parking de la salle de concert Espace Le Conquérant où ils devaient se produire le soir à 20h30. Bonheur partagé des retrouvailles ; nous nous étions quittés il y a un an, à Roissy, après notre soirée partagée sur les planches du Centre culturel à Saint-Pierre.

Quel beau concert que celui de ce 21 novembre 2013, musique, son et lumière à l’unisson ! J’aurai retrouvé avec plaisir le fil conducteur de ce que Gilles et ses deux musiciens de grand talent, Yannick à l’accordéon, Nicolas à la guitare élecro-acoustique, nous auront proposé sur l’Archipel de Saint-Pierre et Miquelon, et d’autres chansons comme « La maison d’Irlande » qui me chavire à chaque écoute par l’amplitude de sa sensibilité. Gilles aura aussi tenu à évoqué son garçon – « C’est mon gars », sa fille – « Bleuenn » (chanson du CD Sous le ciel de cuivre et d’eau), et son épouse Rozenn, plusieurs chansons présentes dans son avant-dernier album, « Ailes et îles ».

D’ailleurs, l’intensité de la soirée – ressentie par toute l’assistance envoûtée -, aura gagné en intensité et émotion au moment où, alors que nous croyions être parvenus au terme de la soirée, Gilles sera revenu seul, guitare aux cordes de nylon à la main, pour nous proposer quelques titres, en solo, extraits de son dernier album, dont « C’est ça qu’on aime vivre avec » entre récit, dialogue amusé avec le public et interprétation de ce nouveau titre. Mais l’hommage à Rosenn, dans « En 62 quand elle est née », retenait mon attention, entre humour et amour, dans une chanson superbement troussée, appuyée sur l’année de naissance de sa femme d’ancrage.

Tout le monde était prêt à chanter encore, en reprenant « Je vous emporte dans mon coeur », tant la sincérité de communion entre les trois artistes et le public nous propulsait dans une dimension qui nous transfigurait. C’est ça qu’on aime vivre avec, assurément.

Henri Lafitte; Chroniques musicales
22 novembre 2013

CD de Gilles Servat, C’est ça qu’on aime vivre avec – Gilles Servat Productions – 2013