La Dame du Nord, Le roman de la Grande Pêche

« La campagne se présentait sous de mauvais augures… » (p.40) Le roman de Serge Déchamps, La Dame du Nord, nous plonge dans l’univers de la pêche à la morue, à bord d’un des premiers chalutiers à moteur fécampois. Dès les premières pages, nous entrons d’ailleurs dans les entrailles vitales, celles de la machine. Nous voilà embarqués.

J’ai choisi ce roman, attiré par la première de couverture, le titre, son sous-titre « Le roman de la grande pêche », en fouinant comme j’aime à le faire, dans une librairie. La découverte ultérieure ne répond pas toujours aux aspirations initiales ; il n’en aura rien été ici. J’ai attendu la 84è page pour jeter ces quelques premières impressions sur le papier. Récit bien ficelé, atmosphère qui te saisit, caractères bien trempés, j’ai cru, moi aussi, me coltiner un iceberg, avec ces personnages de fiction, dans leur être de chair. J’ai ressenti l’assaut des vagues, le froid soudain, ou l’extrême chaleur de la salle des machines. J’ai réagi aux excès tyranniques du capitaine, me suis mis aux côtés du chef mécanicien, un vrai chef d’équipe, exigeant, mais humain. « L’ambiance laborieuse mais détendue de la salle des machines ne ressemblait en rien à celle qui régnait généralement sur le pont. » (p.84) J’aurai pour ma part recueilli de nombreux témoignages au fil de mes pérégrinations ; j’ai pu réaliser la complexité des rapports humains dans cet univers condensé qu’était un chalutier ; le beau et le laid s’y côtoyaient ; il fallait pêcher, trimer, on verrait après. « Il n’était pas un matelot qui se fut risqué à perdre ne serait-ce qu’une infime partie de ce qui permettait à sa famille de survivre… » (p.52) « Mais qu’est-ce qu’on va foutre ici-bas… » chante Marc Robine dans La complainte des Terre-Neuvas. Serge Déchamps aura su traduire cette complexité dans un récit alerte.

Loi du roman – ancrage sur le crédible -, le drame se noue. La mort imprimera son sceau sur la campagne du chalutier. Rapports entre les hommes, maillage de la hiérarchie…, le récit est nourri d’observations intenses ; il se poursuit dans l’enchaînement du drame.

Sans doute sommes-nous dans une opposition manichéenne entre le méchant et les bons. J’ai apprécié la scène ou le second comparaît à la direction de la compagnie ; j’ai eu une pensée éclair pour l’Assommoir de Zola quand les mineurs viennent présenter leurs doléances au domicile du directeur de la mine. Superbe et mépris chez les puissants se font écho. Puis le roman trouve son dénouement dans un café du port, intrigués que nous sommes comme le patron derrière son bar. Ensemble ficelé, efficace dans sa trame, où se trouve même l’île de Saint-Pierre, évoquée comme ancrage d’espérance pour un nouveau redéploiement ; cela est certes plus flatteur que l’image trop facile d’une terre d’exil pour quelque muté en punition.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
11 décembre 2013

Serge Déchamps, La Dame du Nord, Éditions des Falaises, 2010 – ISBN : 978-2-84811-108-7

Site internet : http://www.ptc-rouen.com/_DAME_DU_NORD.html