Bernard Decré, Vincent Mongaillard, L’oiseau blanc

Un récit au bout des doigts, un déclic et soudain une intime conviction : l’Oiseau blanc, l’avion de Nungesser et Coli, parti pour sa traversée est-ouest de l’Atlantique en mai 1927, se sera crashé le lundi 9 au large de Saint-Pierre et Miquelon.

Bernard Decré mettra alors tout en œuvre pour retrouver l’épave, le moteur tout au moins, pour l’instant. Mais son enquête, son exploration, l’amèneront à de nouveaux documents, de nouveaux témoignages, faisant rejaillir des informations occultées. Pour lui, cela ne fait pas de doute, ce qu’il imaginait s’est bel et bien déroulé ainsi.

En résulte un ouvrage réalisé en collaboration avec un journaliste, Vincent Mongaillard, L’Oiseau blanc, l’enquête vérité, mené comme une saga où fourmillent les précisions. Convaincant ? Sans doute, le récit étant construit sur la base de vérifications pointilleuses. Nungesser et Coli, premiers vainqueurs de l’Atlantique alors que quelques jours plus tard, le 21 mai 1927, Charles Lindbergh réussissait l’exploit de traverser l’océan dans l’autre sens en se posant sans problème au Bourget, en France, avec son Spirit of St. Louis ? Nous sommes en plein esprit de compétition, de rivalité, comme pour tout défi sportif. Certes, l’on suit Bernard Decré pour se dire, à l’instar de nombreux anciens de l’Archipel, que les deux aventuriers du ciel ont péri au large du phare de Galantry. Mais la ligne d’arrivée n’aura toutefois pas été franchie. Ainsi la fin du chapitre retraçant la traversée de 35 heures, quand l’avion percute les premières vagues, laisse-t-il un parfum d’extrapolation inéluctable. Coli meurt-il avant Nungesser ? Nungesser tente-t-il de nager, dans un ultime effort ?

Il n’en reste pas moins que la quête de vérité retient l’attention, rapportée ici avec le souci du détail. « Nungesser et Coli ont réussi », titrait à Paris le quotidien La Presse, dans une anticipation journalistique qui fait sourire, malgré la gravité du sujet. Nous ne sommes pas aujourd’hui à l’abri de ce genre d’emportement à l’ère de l’emporte-pièces généralisé. Malheureusement, la tentative se soldait par une fin tragique.

Le récapitulatif de tous les témoignages concordants est très convaincant pour déterminer la zone d’amerrissage forcé au large de Saint-Pierre. Nous sommes sur ce point au cœur d’une enquête menée avec rigueur. Le rappel du récit du témoin-clef, Pierre-Marie Le Chevallier, pêcheur en doris au sud du Cap Noir au moment du drame nous amène à retenir notre souffle, comme si nous parvenait l’écho du choc ultime.

Le dernier tiers de l’ouvrage est consacré à des hypothèses liées au temps de la Prohibition. Nous sommes en effet en mai 1927 dans le maelström des « années fioles ». L’avion de Nungesser et Coli aurait-il eu à subir des tirs d’un bootlegger ou d’un garde-côtes américain ? Le silence entourant très vite le drame serait dû à ce contexte. Peut-on pourtant adhérer à : « C’est sans doute ce que s’est dit sur le moment notre cher Pierre-Marie Le Chevallier qui a patienté plusieurs années avant de livrer son secret » ? (p.176) N’avons-nous pas ici que des conjectures ? J’aurai été surpris par ailleurs de découvrir que l’on avait baptisé Saint-Pierre « l’île au champagne » (p.159), qu’Al Capone ait signé un chèque à l’évêque pour la réfection de la toiture de la cathédrale (p.161). Point d’évêque alors, partant pas de cathédrale. N’y a-t-il pas confusion avec un don qui aurait été fait par un rum-runner pour l’école Sainte-Croisine ?

Le livre rappelle la rivalité entre France et États-Unis pour la conquête de l’espace aérien, l’aura dont bénéficiait Nungesser chez les Américains. Ici, nous sommes à nouveau face à des données précises, intéressantes. Aussi est-il troublant, dans la continuité, de lire : « En 1927, Charles Nungesser, bien qu’adversaire direct dans la conquête de l’Atlantique, est toujours adulé par le peuple américain. Alors tirer, même malencontreusement, sur ce demi-dieu, quelle bavure, quelle forfaiture ! » (p.202) Cette oscillation entre rappel méticuleux de faits et conjectures, perturbe l’analyse.

Mais comment exprimer le trouble positif d’une lecture ? Le chapitre consacré à la disparition de documents concernant la période de la disparition des deux pilotes français bouscule le lecteur. Disparues les archives du gouverneur de l’époque pour la période citée, disparues les archives des coastguards aux États-Unis pour la même période, disparues les archives du phare de Cap Race pour le seul moins de mai 1927 ! Le but n’est-il pas alors atteint ? Le questionnement n’est-il pas de mise, faute d’avoir pu mettre la main sur les restes de l’avion disparu ? De nombreux bateaux américains sillonnaient les parages de nos îles ; mais peut-être était-ce lié tout simplement à la chasse aux bootleggers. L’Histoire nous enseigne encore et toujours que les beaux principes sont souvent transgressés par les États au nom de l’intérêt qu’ils s’arrogent. Peut-on alors être convaincu par cette analyse : «  Ces bâtiments, débarquant en force durant deux mois, n’étaient pas tous là pour faire reculer la prohibition (…) Certains étaient probablement mandatés pour tenter de récupérer les ultimes traces de l’Oiseau blanc » ? (p.218) Conclusion qui tient si l’on pose les prémisses pour vérités.

Me suis-je soudain trouvé comme les deux pilotes dans l’impossibilité d’atterrir sur un terrain où soudain tout devient clair ? J’aurai éprouvé beaucoup d’émotion dans la tourmente de l’incertitude. Aussi ne puis-je que me passionner pour cette quête éperdue de la vérité – y compris dans son parcours inachevé -, hommage ainsi rendu à deux grands hommes entrés au panthéon du ciel.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
2 mars 2014

Bernard Decré, Vincent Mongaillard, L’Oiseau blanc, l’enquête vérité – Arthaud, 214 – ISBN : 978-2-0812-9421-9

Disponible à la librairie Lecturama