Chronique du 3 mai 2014

Je suis à la librairie Vent de Soleil à Auray, dans le Morbihan, une de ces rares librairies indépendantes que l’on affectionne, rue du Château qui nous mène vers le vieux port de Saint-Goustan. Un client demande un ouvrage de Gabriel García Márquez ; mais il n’en reste aucun ; tout est parti à l’annonce de sa mort. C’est d’ailleurs suite à l’a médiatisation de ce décès que le client manifeste son intérêt. Je suis content pour lui – le client –, surtout qu’il fait preuve d’un grand intérêt pour les livres, je suis content pour le libraire. Mais je me dis que s’il faut mourir pour exister, j’annonce ma mort immédiate.

J’échange avec le libraire. Difficile de survivre dans un monde où l’on surfe sur l’immédiateté. Que dire de la dématérialisation ! Nous évoquons la disparition des disquaires ; il y en avait un, un très bon, il y a encore quelques années à Auray ; c’est fini. On télécharge, on streame, on se gave d’abondance. Mais pour quelle mémoire demain ? Pour quels repères ?

J’opte aujourd’hui pour « La poésie au cœur des arts » , une anthologie établie par Bruno Doucey et Christian Poslaniec, un cinquante-sixième ouvrage pour les Éditions Bruno Doucey, une publication qui coïncidait avec le Printemps des Poètes 2014. J’y ai repéré un texte d’Yvon Le Men, « Un homme qui en a tant vu ». Il faut une âme pour relever le gant en publiant ainsi de la poésie ; comme pour le libraire qui ne se voit pas dans le rôle de caissier goulu, pistolet à codes-barres au bout des doigts de l’indifférence.

Il est une autre petite librairie enchanteresse, à Vannes, dans le vieux quartier de Saint-Patern, L’Archipel des Mots. On peut même y trouver Chansons de bruine et Confidences insulaires, c’est te dire. Ça sort des sentiers battus. Mais surtout, on y trouve aussi une passion, une curiosité, le sourire, le partage ; c’est beau et bon, tout simplement. Nous ne sommes pas dans une surface à empilements.

Et des CD, ça se chouchoute quand on les fait ; on les propose en fin de concert ; la musique, c’est fait pour se vivre, en direct, en chair et en âme ; le verre de l’amitié, difficile de le virtualiser…

Et pour paraphraser la chanson d’un ami, je m’éveille en Bretagne ce matin.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
4 mai 2014

Livre cité : La Poésie au coeur des arts, Editions Bruno Doucey 2014 – ISBN : 978-2-36229-061-9