Blague et Hale, premier album

Il fait bon se poser chez soi, respirer l’air du large au mouillage du temps qui folâtre.

J’ai donc pris le temps d’écouter le CD du groupe Blague et Hale. Belle confirmation de ce que j’espérais, des textes, une dynamique, un beau rendu de groupe, une fougue qui revivifie les essoufflés potentiels de la vie.

J’ai reçu comme un coup de réconfort des mots qui bousculent l’avachissement de l’ordinaire. Avons-nous encore une ouverture aux autres ? Savons-nous nous décentrer, écouter le monde, vibrer à l’onde de notre planète ? Qu’il est nécessaire de se dénombriliser ! « Passager que nous sommes, passagers que je suis / Sur une planète énorme, qui explose sans bruit » (Pacotilles). Les textes sont d’Albin Girardin, le porte-flambeau du groupe ; les musiques sont le fruit d’un travail collectif de la part des musiciens, Philippe Joubert, Pascal Girardin, Frédéric Fouchard ; Yohann Detcheverry aura apporté sa patte pour un solo dans le titre d’ouverture (Pacotilles), Antoine Beaumont, pour l’avant-dernier morceau – l’album nous offre dix compositions -, Gwenaël Lafitte ayant un moment accompagné l’aventure pour des suggestions au niveau des arrangements. Le tout aura été enregistré et peaufiné au sein du studio Sesame à Saint-Pierre.

Les accents pop-rock sont bien affichés, la tonalité générale accroche l’auditeur, d’autant plus que la voix du chanteur se détache bien, le mixage ayant été bien assuré ; les guitares se pourlèchent les cordes, la batterie cadence le tout avec assurance. On est au fil des morceaux dans le ton qui décoiffe. J’aime en effet quand soudain l’on échappe à l’ordinaire mollasson ; il est si facile de vivoter dans le « Tout va bien… ». « Il ne suffit que d’un pas » m’a plu dans ses ruptures de rythme, dans le thème abordé également. Echapper à l’enfermement ? « Il ne suffit que d’un pas » précisément. Le refrain chaloupé reflète l’expérience acquise dans les soirées animées ; on se lâche soudain dans le déhanchement des mots.

J’étais curieux, je l’avoue, de me frotter au regard sur la vie d’une jeune génération voguant à son tour sur l’âge adulte, nouvelle passerelle dans le brassage que permettent les planches. Notre lien avec les flottilles étrangères, l’Espagne en particulier, est ici revisité ; l’affirmation de notre ancrage insulaire également : « Ce rocher d’îles qui est le mien… le tien ». L’insularité imprime ses marques indélébiles ; elle est belle quand elle est ouverture. J’y ai aussi trouvé la continuité du pays repère, de l’ancrage : « Quand le vent est au suet écoutez-le revivre ». Ne l’entends-tu pas chanter, cher Jacques ?

Sens aux aguets vers le monde, vers la vie et c’est la quête inexorable du sens. « Y a-t-il quelqu’un ? » A l’heure où Palestine et Israël se déchirent de plus belle, l’étau ne peut que se resserrer sur l’agnostique qui doute de son absence. Le groupe, connu pour ses animations vivifiantes tant à Saint-Pierre qu’à Miquelon n’hésite pas à aborder les grandes interrogations au sein même de la… « danse ». Constat que n’esquive pas la vie nocturne : « Tes rêves voguent dans le vague de la vie » ; un vers parmi d’autres qui aura retenu mon attention.

La pochette est aussi une réponse à ceux qui douteraient du CD en tant que support ; la virtualisation a ses limites ; feuilleter un livret bien léché fait partie des bonheurs simples, à savourer autant de fois que l’envie vous en prend. Photo trombines et halo de lumière d’un groupe de desperados du rêve en première de couverture ; pochette trois volets et photos couleurs comme autant de clins d’œil au parcours de Blague et Hale ; livret avec textes à la lecture agréable sur fond de photos noir et blanc de Lucien Girardin… ; comment exprimer le plaisir que l’on ressent à écouter, manipuler un objet ficelé, lire, regarder… Il s’agit là d’un produit témoin dans le cheminement culturel diversifié de l’Archipel.

Je me suis surpris à réécouter plusieurs fois le huitième titre dans son écriture onirique qui la distingue ; rêverie aux tonalités rock sur des arpents de dune dans l’Ouest d’un isthme qui nous identifie, « poussière d’épave » au profond de la peau, « gris passé au crible », « bois étranger », « oiseau blessé » rêve de danse avec une « dame blanche »« Un matin » est d’une écriture plus immédiate, mais tonique, un aiguillon pour les sursauts nécessaires. « On se réveille / Le cœur et l’âme trop souvent en sommeil », dans une rythmique bien cadencée en guise de café crème.

Comment ne pas terminer ce parcours tonique par l’ouverture vers la grand-route, celle qui fait rêver, celle que l’on a parcourue, un Jack Kerouac souvent en sommeil avant qu’il ne se révèle. On the road, l’horizon que l’on poursuit au-delà des limites qui s’enfuient à l’horizon de l’asphalte, de « New York To Frisco ». « Un matin on prend la route » ; ici, dans « Neal and Jack », le dernier titre de l’album.

Oui, cher lecteur, je me suis laissé emporter par ce défilement enchanteur, « au bord de l’utopie » parce que l’on échappe ainsi à l’endormissement faussement protecteur. Blague et Hale a su imprimer sa marque dans l’effervescence nourricière pour que vive et vive encore notre « Rocher d’île ».

Henri Lafitte, Chroniques musicales
11 juillet 2014

Blague et Hale, CD 2014
http://www.blagueethale.com

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