Loïc Josse, La morue – Voyages et Usages

Travail encyclopédique, format à l’unisson, le dernier ouvrage de Loïc Josse – parution printemps 2014 – consacré à la morue, se repère à l’étal d’un libraire. 317 pages, un volume conséquent qui nécessite une bonne table pour s’y plonger. En lecteur goulu, je n’ai pas pu résister.

Il faut dire que je m’étais déjà régalé avec Terre-Neuvas, dans la même veine, cadeau qui aura accompagné la sortie de ma vie professionnelle. En novembre 2013, j’ai eu l’occasion de rencontrer l’auteur à la Droguerie marine de Saint-Servan, un régal culturel pour qui franchit le seuil de porte.

L’ouvrage s’ouvre sur un éloge… à la morue. Quel poisson générateur d’identités partagées ! Saint-Pierre et Miquelon, Terre-Neuve, Groenland, Pays basque, Bretagne, Normandie, Espagne, Portugal… et j’en passe, la morue cimente notre Histoire, jusqu’au coup de massue de 1992. Homme fou, chérir la mer et la surexploiter n’aura pas fait bon ménage.
Des origines aux données actuelles, en passant par le comportement du gadidé convoité, aux techniques de pêche, jusqu’aux chaluts pélagiques… calamiteux, te voilà, ô lecteur, transporté dans une saga passionnante. Ici ou là, un détail m’aura intrigué : « la Nouvelle-Angleterre (le Maine) » qui bien sûr ne se réduit pas à ce seul état du nord-est américain ; « la Nouvelle-France (la Gaspésie, qui s’appellera Nouvelle-Écosse  » (p.33)… Contrepoint inéluctable d’une somme qui a toute sa force. Tout lecteur ne doit-il pas laisser sa vigilance allumée ?
Les documents sont nombreux, les photos captivantes ; notre Archipel est souvent évoqué. Le chapitre consacré à Saint-Malo évoque en écho la diversité de la vie économique induite au sein même de nos îles. Relations commerciales avec Marseille, rôle essentiel du sel, mais aussi morue et esclavage, le commerce triangulaire, le rythme des sujets abordés est soutenu. J’aime aussi les anecdotes porteuses de sens. Ainsi en va-t-il des liaisons rapides par bateaux chasseurs pour livrer la morue prime (la première sur le marché) à partir de Saint-Pierre : exemple « d’une goélette dont la traversée fut ponctuée de sons de cloches ; ayant quitté Saint-Pierre un dimanche à l’heure de la grand-messe, elle arriva à Saint-Malo le dimanche suivant alors même que sonnaient les cloches de la cathédrale. » (p.101) Une attention particulière est apportée au négoce de la morue, par l’ensemble du réseau fluvial français, Bordeaux jouant un rôle clef. Il est des noms qui nous font ressurgir le passé ; ainsi en va-t-il de Gaston Monier ou de la Société Nouvelle de Pêche au large, qui, fusionnant avec ses concurrents, achète… Interpêche… (p.124)

Un chapitre aura retenu mon attention, intitulé « Vers une géopolitique de la morue ». Sans doute s’agirait-il d’écrire, afin de le compléter, un épilogue douloureux, la période qui court de 1972 à 1992, incluant les incompréhensions franco-françaises, la complexité des tenants et aboutissants, le non-dit des partenaires, leurs intérêts divergents. Mais nous touchons là une page tout juste refermée, sensible et délicate. Le temps de l’Histoire n’a pas encore fait son oeuvre.

Le livre est riche dans son articulation : différents traitements de la morue, la place importante de l’Huile de foie de morue, les multiples façons de consommer ce poisson chargé d’Histoire ; une grande partie de l’ouvrage est consacrée à ces sujets souvent abordés, mais ici très approfondis avec force documents aussi captivants les uns que les autres. L’approche est originale, passionnante. Que de documents également qui évoquent directement nos îles ! Ainsi en va-t-il de la partie consacrée aux graviers de l’Archipel, « traite d’enfants au XXe siècle » (p.152)

Au moment où j’écris ces lignes, je t’avoue, ô lecteur, que je n’ai pas achevé ma lecture, tant mes pensées sont en ébullition au fil des pages. Je feuillette le dernier tiers à découvrir, je m’arrête ici et là, transporté encore ; mais je te livre d’ores et déjà ces quelques réflexions requinqué comme si je venais de prendre… une capsule d’huile de foie de morue. Eh oui ! J’ai eu la chance dans mon enfance d’échapper aux cuillerées.

Un mot avant de retourner à ma lecture ; l’auteur, Loïc Josse, sera présent à Saint-Pierre pour des conférences au Musée de l’Arche les 20 et 22 octobre 2014.

Info complémentaire : http://www.arche-musee-et-archives.net/fr/42.html

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
16 juillet 2014

Loïc Josse, La morue – Voyages et Usages – Chasse-Marée/Glénat 2014 – ISBN : 978-2-344-00116-5

Disponible à Saint-Pierre à la librairie Lecturama