Nadia Galy, La belle de l’étoile

J’ai bien aimé le glissement chuintant de la masse gélatineuse de la boîte de soupe Campbell… Eh oui, le plaisir de découverte quand on se laisse porter par une écriture jusqu’alors inconnue germe souvent de l’inattendu. Je suis plongé dans un roman de femmes, l’auteur Nadia Galy, son personnage qui dit « Je ». « Je » est une femme ; elle a fait de le choix de se faire muter à Saint-Pierre et Miquelon pour surmonter l’insurmontable, le suicide de son amant. Son titre… La belle de l’étoile.

« Je » est féminine dans son introspection, dans son regard miroir, dans son choix qui la fait fondre anorexique, dans ce choix de se faire parvenir des lettres déjà lues pourtant, celles de son amant disparu ; elle se distille les émotions, s’instille la quête des vibrations profondes ; elle a opté pour une terre éloignée, Saint-Pierre et Miquelon, un archipel excentré ; elle découvre Saint-Pierre avec intensité, à la Poste, au Marine-Bar ; on la suit dans son cheminement. Nous sommes dans les années quatre-vingt-dix.

Elle est contrôleur aérien, fait ses allers-retours autour du Barachois, partage ses fulgurances. L’écriture est vive et chaude, sensible, à fleur d’âme, la peau sur les os. On se laisse aisément emporter et convaincre par la justesse du ton. Les observations sont telles des touches de pinceau qui font mouche.

Fichtre ! S’entremêlent soudain quête intérieure et coup de boutoir de l’imprévu. L’auteur a retenu le canular du tremblement de terre annonciateur de tsunami du 23 décembre 1991. Et me voilà en une ligne personnage de roman. J’en ai la lyre suspendue ; je jette un coup d’œil à ma guitare ; elle est bien là et respire encore. « Je » est aussi cet autre désormais, auteur d’une « ode cocasse » (p.86), au fil d’un paragraphe de roman. Et je replonge dans ma lecture, ballotté tel un goujon sans fil.

La chair et les os se sont faits Verbe et l’on se laisse emporter par cette exploration à fleur de folie. Notations vives, nuances de tous les ressentis, rencontres, accès de fièvre font de ce roman un compagnon de quête intérieure. Elle, la narratrice, interroge son amour brisé, le revisite, lui répond, analyse chaque parcelle de souffle antérieur. Mais elle est entrée dans un autre aujourd’hui, celui d’une insularité qui remodèle son rapport aux autres, à la vie. Belle rencontre que celle de Fériel, la femme de ménage algérienne qui aura vécu intensément la guerre d’Algérie. L’écriture s’égoutte, se goûte : « j’écrivais comme on écrit en nuages, à petites touches floconneuses. » (p.97) Perle sur la rêverie, ô lecteur de brisures, écouter les pages musicales évoquées, ici et là, la et si, Concert à Cologne de Keith Jarrett, Ascenseur pour l’échafaud de Miles Davis… Je l’ai vécu par jour de soleil ; sans doute est-ce à savourer un jour de février en lisant cette phrase : « La neige s’échouait rageusement contre les carreaux, le vent hachait les flocons en une pulvérulence obstinée qui faisait sa folle autour des réverbères. » (p.103) Le récit s’émaille d’événements de la vie saint-pierraise condensés, brisures de chocolat sur une pâtisserie. Brisures de saveur, meurtrissures aussi. Fugue qui évoque en arrière-plan une disparition, disparition réelle d’un bateau et de ses quatre membres d’équipage. Notre île est entrée dans le romanesque, entre imaginaire et flux inexorable de l’Histoire en perpétuelle réécriture. De nombreux noms tirés du réel brouillent, entrelacent réel et romanesque ; plusieurs évocations nous ramènent à un passé rapproché ; tribunal arbitral de New York de 1992 ; construction de la nouvelle piste.

Ample oscillation entre quête toute intérieure et immersion dans notre univers insulaire, Saint-Pierre « antidote inattendu (au) malheur » (p.185) ainsi va le roman de Nadia Galy, La belle de l’étoile. L’auteur m’aura touché en sollicitant le titre de cette chanson qui révèle à elle seule le souffle de mon passé générateur. Être à la marge et pourtant être texte, quels que soient les mots, voire le silence ; la vie, n’est-il pas vrai ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
21 juillet 2014

Nadia Galy, La belle de l’étoile, Albin Michel 2014 – ISBN : 978-2-226-25829-8

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