Roger Vercel, En dérive

Retour des bateaux dans le dépérissement de la pêche des voiliers dans l’entre-deux-guerres, deux marins disparus sur le Bonnet Flamand, nous partons « En dérive », liés dans les épissures d’un récit haletant à l’écriture toute de richesse humaine et de sel de Roger Vercel.

Ça ne vient pas de paraître, me diras-tu, mais sais-tu que je me suis extirpé depuis belle lurette du piège à illusions du « ça vient d’sortir ». Je glane au gré du hasard les pépites du rêve et suis rarement déçu. Roger Vercel est décédé en 1957 ; j’étais en culottes courtes. D’ailleurs, franchissant le seuil d’une librairie, je suis happé par l’effarement devant tant d’écrits qui m’échapperont à tout jamais. De Roger Vercel, je n’avais lu que Remorques ; les éditions Omnibus auront attiré ma curiosité en proposant au lecteur une série de « Romans de la mer et du vent » de Roger Vercel, précisément.

Premier roman de mer de l’auteur, En dérive. Comment ne pas être saisi par la beauté de l’évocation de la femme de marin, privée soudain de son mari parti sur les Bancs : « C’était, chaque année (…) un hivernage du cœur, difficile parfois à réussir, en plein soleil, parmi l’activité de la belle saison. » p. 41)

C’est d’ailleurs la vie dans toute sa complexité entre mer et terre que Roger Vercel a mis ainsi sur son ouvrage. L’un des disparus réapparaît ; grande joie bien sûr mais très vite des interrogations ; il est amnésique quant à ce qu’il a vécu sur les Bancs ; que s’est-il passé ? Nous entrons de plain-pied dans un suspense poignant ; la précision du trait, la justesse des observations captivent le lecteur. Aussi laisserai-je cette dimension du récit en suspens si d’aventure, ô lecteur de cette chronique, il te prend l’envie de plonger à ton tour dans la grande bleue des belles surprises.

Je te laisserai sur un passage qui a retenu mon attention. Je te le livre : « Une bonne année ! A chaque printemps, c’était la même antienne, et ça allait pourtant de mal en pis !… Et les chalutiers qui dévastaient les fonds, arrachaient les algues où le poisson vient frayer  ! Et les eaux de Terre-Neuve qui devenaient, c’était prouvé, plus chaudes d’année en année : des dix et douze degrés, la saison dernière. Comment que la morue pourrait s’y tenir ! Et l’encornet, cette boëtte de choix, qu’on ne piquait plus à la turlutte qu’un jour ou deux par campagne! » (p.109) Sommes-nous en ce XXIè siècle perturbé ? En 1992 ? En 1972 ?…

En dérive est paru en 1931.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
26 octobre 2014

Roger Vercel, Romans de la mer et du vent – Omnibus 2010 – ISBN : 978-2-258-08387-5
Roman cité : En dérive – 1931