il faisait chaud au coeur à Locmaria

Tu seras peut-être étonné ô lecteur, toi qui peux être rêveur comme je suis loin des clochers ; j’ai assisté au saint office de la Toussaint 2014 ; faut dire que c’était dans un cadre particulier, celui de l’église de Locmaria à Belle-Île en Mer, où j’aurai eu l’occasion de chanter il y a un an au bénéfice de la rénovation de la petite église d’Hoëdic. Tu vois ainsi que je n’ai donc pas l’esprit de chapelle. Tu me suis ?

Faut dire qu’on ne vit pas ici à Locmaria une messe comme dans trop d’autres endroits. Il est un curé que je te souhaite de rencontrer, lui ou un autre du même tonneau de porto. Nom de Dieu – qu’il me le pardonne s’il existe – il est des gens ordinaires au-dessus de ceux qui prétendent à l’être moins. Dédé, tel est le nom du curé, je l’ai rencontré dans on presbytère l’an dernier à Palais, point de passage obligé quand tu arrives à Belle-Île. Le port, pas le presbytère.

Le presbytère c’était un choix car je désirais ardemment chanter pour la petite église d’Hoêdic – une façon pour moi de remercier des insulaires particulièrement chaleureux – et le curé de Palais est aussi celui de Locmaria à Belle-Île où l’on se disait qu’on pouvait toucher plus de monde. Il est aussi des liens amicaux dans le cheminement de cet événement entre Hoëdic et Locmaria. On vient tout juste de franchir le seuil de porte, à l’heure sainte, forcément. Dans la foulée je raconte à Dédé que j’ai chanté à Groix avec Nadine, la bonne du curé de Belle-Île, en 2002, à l’occasion de la 2è édition du Film Insulaire. Nadine est malheureusement décédée depuis. Et voilà Dédé retourné ; c”était lui qui l’avait recrutée pour la sortir de la débine. Et lui de nous raconter quand elle chantait Mylord dans le presbytère. Une scène de roman de René Fallet, je te le dis, mon fils. Ou d’Alphonse Boudard. Ou une chanson que Brassens aurait pu écrire…

Dédé assurait l’office à Locmaria en ce 1er novembre 2014, et l’on était là, une bande de copains, pour Lui – Lui le Recteur Dédé, qui mérite une majuscule. Le rapport avec Dieu n’empêche pas la simplicité du contact avec les ouailles quel que soit leur crû. Et je peux t’assurer que l’ordinaire de la messe sortait des sentiers battus. Alors, vous êtes venus voir ma discothèque ? nous aura-t-il octroyé avec malice sur le parvis. Avoue, ô lecteur, que ça décoiffe l’agnostique. Mots chaleureux, humour, respect du rituel malgré tout, ce que l’on acceptait volontiers vu que la monotonie avec lui n’était pas de mise. Cerise sur le gâteau, une chorale réunissant Palais et Locmaria, de belles voix et une acoustique donnant l’amplitude aux vibrations partagées. Bref, cela avait fière allure dans le vaisseau de pierre, ex-voto marins accrochés à la voûte de bois bleu. J’observais sur ma senestre un grand tableau, représentant des femmes accrochées aux rochers fouettés par les vagues sur la droite, mer déchaînée sur la gauche, un voilier pris dans la tempête. Arrivera-t-il au port ? Se fracassera-t-il sur des écueils ? Une femme est anéantie, recroquevillée dans son désespoir, une autre prie la Vierge Marie qui apparaît dans les nuées tourmentées, une autre a son enfant à la main, elle est tournée vers le large, dans un regard d’espoir, de refus de la fatalité ; elle sera veuve peut-être mais elle ne baissera pas les bras. Un condensé d’humanité faisant sens dans un univers tourné vers l’océan imprévisible.

Pas de calembredaines aux mots ânonnés dans la répétition de certitudes assenées, mais un sermon empreint d’humilité, d’encouragement vers la joie de la simplicité quand on arrive à être soi-même dans une saine interaction avec les autres, croyants ou pas. Dédé nous a salués, amusé, amical, pour le mot de la fin, quand vient le moment de se séparer.

Locmaria_La_Fontaine.jpg La veille, j’aurai chanté au Bar-Tabac-Alimentation La Fontaine, à côté de l’église, chez Jean-Jacques et Hélène ; la petite salle était comble et l’atmosphère joyeuse. Qu’il fait bon partager des chansons dans une telle convergence de joie ! Daniel sera venu de Baden ; et de chanter Les sillons de Talberg, de Michel Tonnerre, de sa voix forte des Bancs de Terre-Neuve et du Labrador, chargée de sel et d’embruns ; Dédée, notre hôtesse aux bras ouverts, petite femme alerte aux plus de septante printemps, m’aura fait plaisir en interprétant, dans la chaleur des émotions ressenties, Les enfants de Bretagne d’Edouard Lofficial ; Ricardo, l’inspirateur du Chemin des Dorissiers, m’aura rejoint pour un fado de ses origines, suivi de Malaguena, qui nous transportait dans la fougue vivifiante d’une soirée sous le sceau de l’amitié.

Une île dans une île, Locmaria, son église, son bar La Fontaine, et nous tous sur la margelle du bonheur.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
2 novembre 2014