Roger Vercel, Jean Villemeur

« Les faux poissons, au bout des piquois, passaient la lisse par centaines. Les hommes y allaient gaiement, rapidement, et cela faisait, derrière le bateau, une longue traînée blanche de ventres morts. Il y en avait pour des mille et des mille francs, dans ces rebuts. Mais c’était du poisson qui ne se salait pas ! Les anciens des voiliers, qui pendant des années avaient pris la morue une à une, se navraient : – C’est gâcher le bien ! On mériterait qu’il n’y ait plus rien dans la mer !… » (p.420)

La lecture des romans de Vercel réserve son lot incessant de découvertes. Ici, dans Jean Villemeur, publié en 1939, n’y a-t-il pas comme une prémonition relevée dans les témoignages des premiers chalutiers ? L’année 1992 en ce qui nous concerne ne porte-t-elle pas la marque au fer rouge de la folie humaine sur les Bancs autrefois poissonneux ?

Islande, rapport entre père et fils et la pêche au chalut surtout tissent la trame de ce roman de Vercel ; j’ai mesuré ce qui entraîne l’adhésion de Daniel, ancien capitaine de pêche Terre-Neuvas. L’écriture est puissante ; les scènes de travail au chalut sont haletantes, saisissantes dans leurs évocations ; on en sort assourdi, abasourdi. Oui, ces pages n’ont pas été écrites pour les Parisiens – j’ai noté cette remarque au détour du chemin -, mais pour les pêcheurs eux-mêmes et l’art de Roger Vercel trouve ici son accomplissement.

Et puis il est des mots qui peuvent te relier à un patrimoine marin, jusque dans ses travers ; mais ainsi va la vie du lexique ; depuis combien de temps n’ai-je pas entendu celui qui surgit au détour d’une phrase ? «  Ce n’est pas pour se faire des grogs qu’il a fait monter chez lui dix litres de schnik ! » (p. 475)

Avec Roger Vercel on se trouve tantôt au cœur de l’action dantesque du chalut qu’on affale « hors cul », traits qui se succèdent, travail exténuant ; puis on entre dans l’intime des hommes ordinaires, capitaine ou pas, de leurs joies et de leurs souffrances. Il est une lumière terrible d’humanité dans ce roman quand surviennent les dernières pages.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
18 décembre 2015

Roger Vercel, Jean Villemeur – dans Romans de la mer et du vent – Omnibus – ISBN : 978-2-258-08387-5