Axel Kahn, Entre deux mers

Il est des livres qui vous incitent à sortir des sentiers battus. Marcher, quoi de plus accessible ? J’aime à Saint-Pierre à chasser le spleen qui guette les quotidiens recroquevillés de froidure, en arpentant, bord de mer au cœur, les chemins de la rêverie. Mais que valent mes kilomètres maigrichons face à une traversée de France de la pointe de Bretagne à la Méditerranée comme l’aura effectuée Axel Kahn au printemps 2014 ? A peine reposé de sa diagonale Belgique-Pays basque de 2013, impossible de résister à l’appel des godasses éprises de liberté.

Lire Entre deux mers, voyage au bout de soi, nous met dans son sillage. Évocation des paysages traversés, aventure, méditation, réflexions sur les enjeux d’aujourd’hui, rappels historiques, tout s’entremêle et captive le lecteur. Axel Kahn fait partie de ces repères qui nous aident à nous situer dans monde trituré de nouveaux défis. Pas de grandiloquence, mais un regard épris d’amour de la vie, de quête éperdue de ce qui donne sens à nos cheminements. Ainsi en va-t-il au petit matin quand il faut se remettre en route ; la poésie n’est jamais loin : « Le marcheur solitaire et matinal est quant à lui chaque fois saisi de stupeur devant l’harmonie qui se dégage du spectacle, par sa puissance à évoquer l’image du bonheur. Alors, hors toute métaphore, les larmes montent aux yeux comme la rosée du cœur, le léger brouillard qui estompe alors les formes accroît la magie de ce que le regard voit et l’esprit perçoit. » (p.41)

Marcher aussi longtemps – deux mois et demi – à soixante-dix balais, c’est aussi une façon de faire place nette dans ses pensées, n’est-il pas vrai ? « C’est bien par touches successives que se reconstitue le tableau impressionniste d’une existence. » (p.107)

Il est des pages qui vont aux rives de l’essentiel. Ainsi en est-il au tiers de son parcours avant qu’il n’entame les « Solitudes centrales de la Creuse à la vallée du Rhône. » Je me trouve, dans ma lecture, comme un convive autour d’une tablée, prêt à partager cette observation : « cheminer avec le désir inchangé et toujours un peu inassouvi de vivre, intensément, d’être heureux, s’il se peut. » (p.109) Ne sommes-nous pas, quand les décennies s’égrènent, de plus en plus malmenés ? Marcher encore, goûter pleinement, quoi qu’il advienne…

J’aurai aussi glané des observations anecdotiques, certes, mais qui auront attisé ma disponibilité printanière. Ainsi en est-il de l’origine de l’expression « Il fait un vent à décorner les boeufs » (p.132) ou du nom « plateau des Millevaches ». (p.138) Ne finit-on pas par se satisfaire de l’ordinaire privé progressivement de sa saveur ? Un déclic et tout revit pleinement.

L’expérience ne se transmet pas, je le sais. Tout au plus pouvons-nous partager des témoignages qui peuvent instiller le désir. Désir de connaître, désir de rencontrer les autres. Bonheur quand, chacun à sa manière, quelque chose de vivifiant se concrétise. Axel Kahn va en effet au bout de lui-même car une telle aventure ne va pas sans souffrances physiques. Il est aussi des jours de plus sombre méditation. Mais il est des retours sur engagement qui ouvrent, plaines, vallons, massifs, alpages, champs ou forêts, la porte de l’émerveillement.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
20 avril 2015

Axel Kahn, Entre deux mers, voyage au bout de soi, Stock, 2015 – ISBN : 978-2-234-07916-8

Pour agrémenter le parcours-lecture : http://axelkahn.fr/2014-en-images/