Saint-Pierre et Miquelon, sur un fleuve mythique

Alors là, je te l’assure, tu me prends, ô mon lecteur, mon frère, ma soeur, à mon lever ; il est sept heures, Paris s’est éveillé ; je suis toujours dans un hôtel. Tiens, c’est étrange, le silence à peine perturbé par un camion de mise en propreté, j’écoute le chant des oiseaux. C’est fou tout ça, ne trouves-tu pas ? C’est comme si le bruit de l’ordinaire avait mis les adjas. J’ouvre les rideaux de ma fenêtre, la statue est toujours à la même place dans le petit square triangulaire en contrebas. Fais-en l’expérience, dans cette capitale assourdissante les samedis matins sont plus apaisés que les autres jours, comme une mise en bouche de dimanche. Il fait beau, flotte comme un petit air de juin en goguette, surtout que j’ai la tête dans un cocon ouaté de bonheur, c’est te dire.

Imagine la scène, la Seine, les deux, pas l’un sans l’autre non, mais les deux, belles comme des prunelles, une péniche, au pied d’un pont de pierre si tendre, qu’il s’appelle Marie et que dessous son tablier voguait un rêve que si je n’avais pas été là, je me dirais : mais j’ai rêvé. En arrière-plan, les tours de Notre-Dame, là où j’ai posé les pieds pour la première fois en terre de France – îlienne – à l’âge de 18 ans. C’était… hier. Raccourci saisissant du temps. Aurais-je imaginé que j’y chanterais un jour, sur ce fleuve de mes incandescences adolescentes ? Eh oui, je suis d’une génération où déjà l’adolescence durait plus longtemps.

C’était hier, le 19 juin 2015, quai de l’Hôtel de Ville, sur la péniche Le Marcounet. Une journée consacrée à notre insularité, couleurs de Saint-Pierre et Miquelon fièrement éployées par l’association fraîche et fringante d’Île en Îles, francophonie à la mâture. Et magie de l’improbable, une convergence folle, venue de Paris, mais de plus loin encore, de Cholet, de Bordeaux, de Villefranche-de-Rouergue, du Pays basque, de Lille, de Londres, de la rue Lepic, de la bouche de métro, de la gare Montparnasse, d’ailleurs, de tellement d’endroits que la nuit a été trop courte pour qu’on se dise tout… Et nous tous, l’insularité au plus profond de nos fibres. L’improbable qui soudain devient rires, retrouvailles, bises, chansons, bras et coeurs serrés, visages rayonnants, dans une amplitude de bonheur telle qu’on aura goûté tout ça à fond, bercé par la houle d’un fleuve au long cours tranquille. Que ça avait fière allure, générations entrelacées.

La fête aura eu lieu, intense, joyeuse, virevoltante, Adèle, Alexandra, Albin et son groupe – chanter le Départ du Tambour avec Blague et Hale, quel souvenir ! -, Geneviève du Québec – que lorsqu’elle viendra à Saint-Pierre tu ne pourras plus l’oublier -, l’écriture aussi, Alexis, Nadia, Jean-Marie, la peinture, Raphaëlle, Marie-Laure, la photo, Jean-Christophe, Arnaud le patron du Marcounet – une péniche vouée à l’enchantement que si tu veux une adresse, c’est là, sous tes yeux…

Il aura fallu se trouver à Paris pour chanter sur un bateau. Incroyable non ? Et quelle fête ! Quelle joie ! Comme nos îles savent les enclencher, au cœur de nos soirées insulaires les plus folles. Drapeau de nos îles et du Québec en fond de scène, sur la Seine, et nos rires, notre appartenance à une terre d’ancrage, une chaude fierté portée par la grand-voile de ce qui nous transcende.

Et nos îles en cette nuit de juin chantaient sur un fleuve mythique.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
20 juin 2015

Un lieu, un lien, une adresse : http://www.peniche-marcounet.fr/