Histoire de lion…

Un dentiste américain bourré de pèze bute un lion qui ne lui avait rien demandé ; le lion était un grand artiste dans sa catégorie ; il avait le droit de se faire photographier par les milliers de touristes qui faisaient tout exprès le déplacement dans le parc naturel du Zimbabwe où il créchait. L’exécuteur a des remords, nous dit la presse, ce qui ne ne nous empêche pas de penser qu’il est des roi des cons qui s’ignorent. J’ai plutôt un faible pour le roi de la forêt.

Dans le pub des heures perdues à l’aéroport d’Halifax, en Nouvelle-Ecosse, j’ai demandé un club sandwich en toute sécurité, après avoir passé le dispositif qui vous met à poil les glabres les plus imberbes. Un sandwich du genre de préparation sur-couches avec trois étages de pain carré, tranche de poulet cartonné, bacon coriace de la couenne et des rondelles de tomate – singulière – qui ont l’air tomate (singulier, non ? On en reste tout bête). Trois voisins de table à la carrure qui suscitait forcément le respect avaient cédé à la même tentation que mézigue et se pourléchaient joyeusement les badigoinces. Des lions, je te dis. Soudain je réalisai qu’ils ouvraient grand le clapier à bouftance afin d’ingurgiter en une seule lampée les mastards. Ouah ! J’en suis resté du coup bouche bée, mais en plus modeste, forcément.

Ils l’ouvraient – tu l’as deviné – comme des lions. Ça tombait pile – poil avec le club, naturellement. Me voilà saisi de quelques frissons. Pourvu qu’il n’y ait pas un chasseur de têtes, me suis-je dit. J’ai grignoté mon sandwich, en m’essorant les salsifis, recroquevillé sur ma rêverie. Il est vrai que je n’avais pas bouffé du lion.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
29 juillet 2015