Isabelle Autissier, Soudain, seuls

L’île de Stromness, une réserve naturelle dans l’hémisphère sud, par 50 degrés de latitude, un couple sur un bateau, décision d’aller voir à terre. Et soudain, l’imprévu, la tempête, le bateau qui disparaît. « Soudain, seuls », tel est le titre du roman d’Isabelle Autissier qui nous prend d’entrée dans ses mailles avec son style incisif, des phrases courtes, percutantes. Deux êtres portés vers l’accomplissement de soi et qui se trouvent soudain confrontés à l’impensable.

Se déployer au maximum sans être prototype de héros… Au détour d’une phrase, je pense à la rencontre avec Philippe Claeys venu à la maison avec des amis en septembre 2015. Il venait de traverser à vélo l’Alaska, le Canada par le cercle arctique et s’était fixé Saint-Pierre et Miquelon comme point d’arrivée au terme de plus de 11 000 kilomètres. Philippe m’a frappé alors par son humilité, la conscience d’aller aux frontières du danger en mesurant ses limites ; jusqu’où ne pas aller trop loin. Savoir toutefois que l’impensé est toujours possible. La rencontre avec un grizzli en aura été la démonstration. Mais le grizzli aura décidé de rebrousser chemin. Philippe qui aura aussi traversé l’Amérique du sud, toujours à vélo, jusqu’à Ushuaia. Aura-t-il croisé Louise et Ludovic un jour d’escale de ces derniers ? Peut-on imaginer la rencontre entre un être en chair et en os et des personnages de roman ? J’emprunte le trou noir de l’impossible.

« Fini de jouer, fini le couple moderne et dynamique, il n’y a plus que deux êtres et la mort qui couve à petit feu devant eux. » (p.67) Isabelle Autissier a une grande expérience de l’âme humaine poussée dans ses derniers retranchements et cela se révèle dans son écriture, son exploration psychologique des deux naufragés. Le thème du Robinson se trouve revisité par une expérimentée de la mer et des situations extrêmes. Sur le chemin, une grande profondeur de vue et un récit envoûtant, cadencé, haletant, quand un être humain arrive « au bord du précipice, de l’épuisement, de l’anéantissement ». (p.140)

J’ai été frappé par la force de ce livre pour ce qu’il révèle de la terrible, complexe, profonde… humanité, des portes de l’enfer au retour à la normalité, de la « confrontation primitive avec la vie » (p.222) à celle que l’on croit cerner. De « l’instinct de vie » qui nous fait avancer, contre vents et marées.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
1er novembre 2015

Livre cité : Isabelle Autissier, Soudain, seuls – Stock 2015 – ISBN : 978-2-234-07743-0