Yves Vessière, On se demande…

Comme un écho avec une chanson de Georges Chelon, en ouverture d’un CD que je viens de goulûment savourer.

Il y a « Tant et tant » chante Georges dans ses Lettres Ouvertes. « Il y a tant de drames / Tant de douleurs », chante à son tour Yves Vessière dans la première chanson de son nouvel album. Filiation de sensibilité de l’être dans un monde malheureusement torturé. Nouvelle déclinaison de l’inspiration, une voix, une belle mélodie… ; je suis convaincu, rapidement. D’ailleurs, si la curiosité te meut, ô lecteur, auditeur potentiel, il m’est arrivé d’écrire une chronique sur un précédent opus de l’artiste de Montluçon. Eh oui, peut-être auras-tu envie d’aller à ton marché. Le CD est une denrée qu’il s’agit de savourer, plus que jamais, en particulier celui qui ne bénéficie pas des envolées médiatiques pré-mâchées.

Yves Vessière, donc. On se demande… Titre de la première chanson et de l’album tout entier. 15 chansons, voix limpide agréablement par la guitare, la basse et la batterie, sonorités subtilement dosées, rythmique aérée, propre à t’emporter.

Et de belles chansons.

Vrai fils de la nation m’a accroché par son thème – ne sommes-nous tous métissés ?- ; et son tempo dynamisant. Tout comme Ce bonhomme, il sait tout et son jeu sur les homophonies. Je n’oublierai pas de mentionner Un livre, chanson hommage au colporteur paginé de rêve. Les thèmes sont variés et reflètent une ouverture à la vie dont les années engrangées permet la pleine floraison. Ainsi en va-t-il dans Je voulais conserver ma place : « Parfois vaut mieux ne pas faire face / S’en aller et rester en vie ». Textes et musique sont de l’artiste, sauf quelques exceptions, textes issus de la plume d’autres auteurs, dont Jean Richepin ou Raymond Devos, voire René Fallet, entre autres. L’auteur de Vrai fils de la nation s’appelle lui Bernard Martin, patronyme qui donne encore plus de poids au métissage assumé. Texte vivifiant en cette époque où domine la peur de l’autre.

Toutes les conditions sont réunies pour le plaisir de la découverte. Accents folk (Je voulais conserver ma place), swingués (Chaque fois qu’jt’vois), manouches (Je hais les haies)… Plaisirs de la musique, des mélodies ficelées et de l’écriture… Jeux de mots de Raymond Devos dans Je hais les haies. Hé, hé ! Eh oui. Entrelacement dans ce qui t’émoustille en quelque sorte. Et des textes qui bousculent l’affadissement des repères : L’avaleur de l’argent.

Frédéric Bobin dans Singapour : « Y a mon usine qu’a foutu l’camp à Singapour », Bernard Lavilliers dans Les Mains d’Or, Patrice Lacaud, dans Quand la sirène : « Quand la sirène a retenti / Que l’entreprise allait fermer », Marc Robine dans Les aciéries, le thème de l’intense déchirure – quand l’ordinaire du quotidien pour croûter est soudain remis en question -, est ici revisité de belle manière : Des routes pour partir : « Partout des panneaux « A vendre » ». Thème récurrent d’une dure réalité. N’ai-je pas été frappé par les maisons à vendre dans des coins de Bretagne sinistrés, au détour de mes propres pérégrinations ? La fermeture de notre usine de pêche à Saint-Pierre n’a-t-elle pas laissé des traces indélébiles ? Alors, forcément, ces chansons, je les écoute et les écoute encore. Nostalgie ? Certes. Aiguillon pour se battre derechef, assurément.

Et puis, hasard du calendrier de mon exploration, ce texte de Jean Richepin, mis en valeur avec à propos : Noël, Noël, a retenu mon attention. Les invites à la surconsommation assénées quotidiennement quand vient décembre n’ont-elles pas un parfum d’indécence ?

Que de possibles quand on puise dans la palette de la vie – j’allais dire Patchwork et là je réalise que c ‘était le titre de l’album précédent d’Yves Vessière ! Ai-je franchi le cap de l’âge qui nous rend sensible à la mémoire qui défaille dans l’immédiat du quotidien ? Ah ! Je perds tout titille mon écoute à tiroirs. Patchwork donc ? On se demande… Comme tu le sais, ô lecteur, j’aime divaguer, surtout quand on m’en fournit l’occasion agréable. Eh oui, on sous-estime l’importance de la divagation, de la rêverie de l’écoute solitaire, comme aurait pu dire Jean-Jacques Rousseau. Imagines-tu une déclaration d’amour sous forme de calembours, de jeux de mots, tout ça dans une chanson perlée d’humour ? Il n’y a pas, c’est te dire. J’en suis arrivé au sortir de la clairière – j’aime à imaginer un bon CD comme un enclos de lumière – ; deux chansons encore présentées sur la 4è de couverture comme des bonus. Plaisir de me déhancher au rythme des Microbes sympas. C’est l’hiver sur mon île, après tout, au moment où je découvre cet album. Pour finir, un texte de René Fallet, auteur que j’aime retrouver dans ma bibliothèque de… triporteurs d’imaginaire. Grisaille de la vie du citadin tête ourlée de rêve… Il était bon de terminer l’album sur cette chanson que j’écouterai souvent. Je pense à toi

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
21 décembre 2015

Yves Vessière, On se demande… – CD 2015

Site : http://www.yvesvessiere.com