Chronique du 26 mai 2016

Voir un dialogue de sourds, prouesse des sens, essence rare, pompes pompées, sans tambour ni trompettes… ; je me serai donc trouvé dans le Grand-Ouest, la Grande Presqu’île éloignée de Paris. Automobilistes mis à pied, voitures clairsemées dans les parkings et chacun de se ressentir tel un albatros sur le plancher des vaches. Mai 2016 aura eu son parfum de revanche sur l’ordinaire policé des années qui se suivent et se ressemblent. Coupure évidente entre une caste politique, droite et gauche confondues, et un peuple désemparé ? D’un côté, le langage des premiers et des médias asservis ; de l’autre, ceux qui sont imprégnés d’un mal-être évident, confiance évanouie dans ce qui aurait pu être des lendemains enchanteurs.

La France, repliée sur elle-même, gémit. Après les Glorieuses, l’ère des Pleureuses ? Ce pays a perdu ses monarques, ceux entre les bras desquels il se remettait, dans une parodie toujours renouvelée de consultation démocratique. Les gouvernants d’aujourd’hui sont entraînés dans la tourmente d’un monde qu’ils ne maîtrisent plus ; l’auto-gestion dans la prise de risque n’est pas la culture dominante. On voudrait plus de liberté mais on ne veut pas modifier les règles qui rassurent et qui forcément encadrent. Un pays entier réduit à n’être que l’âne de Buridan, écartelé entre les gamelles au goût amer qu’on lui propose.

Ça va mieux en ce jeudi 26 mai, nous assène-t-on sur les médias. A la mi-journée, je n’ai vu, dans ma marche, que des stations-service fermées. En quête de témoignages, un préposé à la pénurie m’a narré la réaction d’un automobiliste qui, voulant remplir son réservoir jusqu’à la dernière goutte, n’aura pas hésité à retourner le pistolet de sa pompe contre le suivant qui protestait…

Auto-gestion dans une dynamique collective ou égoïsmes forcenés ? Le premier qui se risquera à bousculer les mentalités risquera de s’y brûler les ailes.

Dans la barque qui fait l’eau, n’enlève pas l’nap, ô Léon ! me diras-tu.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
26 mai 2016