Un fauteuil sur la Seine

Je découvre Tulle ; je me suis dit que la visite valait le détour et, près de la cathédrale, je suis tombé sur la librairie Préférences qui à elle seule méritait cette halte. Je me laisse comme tu le sais, si tu m’as déjà lu, porter par le hasard. Un fauteuil sur la Seine d’Amin Maalouf aura accroché mon regard.

Belle surprise pour une démarche d’écriture originale. Elu en 2011 au 29è fauteuil de l’Académie française, succédant ainsi à Claude Lévi-Strauss, Amin Maalouf fut pris d’un « remords », celui de passer sous silence tous ceux qui avaient été auparavant honorés de cette même « 29è » distinction. Ainsi prit naissance « Un fauteuil sur la Seine ».

Surprise en effet de prendre conscience soudain – au fil de l’aventure de ce numéro 29 – que l’on passe en revue des pans essentiels de l’histoire de France. En dix-huit chapitres, tu vogues de l’époque de Richelieu, de 1634 à la première décennie du XXiè, plusieurs occupants de ce siège vénérable n’ayant pas hésité à atteindre l’âge canonique avant de tirer leur révérence. Et le lecteur de toucher du doigt des continuités insoupçonnées, en un concentré temporel porteur de sens. Par-delà « le commun des mortels » (expression de Jules Renard citée par l’auteur) ou le hors du commun d’immortels passagers, l’on ne peut arriver à l’épilogue sans s’être senti enrichi par ce regard sur une aventure humaine aux palettes multiples.

Le 6è titulaire du 29è siège aura retenu en particulier mon attention, lié – même si tout cela n’est pas précisé dans l’ouvrage – à notre propre histoire, celle du Nouveau Monde et de ce qu’il en reste, notre archipel microscopique à la légitimité tout aussi forte que celle de son puissant voisin. La France était sortie exsangue du règne de Louis XIV ; des spéculations financières pendant la Régence n’allaient rien arranger. André-Hercule, cardinal de Fleury, titulaire du 29è fauteuil, allait devenir le premier ministre de Louis XV avec pour priorité une gestion rigoureuse, « sans panache ». Et Amin Maalouf de rappeler : « s’il voulait réellement faire du Nouveau Monde une Nouvelle France, il aurait dû s’en donner les moyens et notamment bâtir une marine puissante… » (p.88) Pusillanimité quand tu nous tiens. On en porte encore les stigmates. A quoi se démener comme disait l’autre, « pour quelques arpents de neige… » ?

Comme quoi s’intéresser à l’Histoire d’  « Un fauteuil sur la Seine  » peut vous entraîner vers des rives inattendues. Chacun pourra y puiser d’autres enseignements.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
12 novembre 2016

Amin Maalouf, Un fauteuil sur la Seine – Quatre siècles d’histoire de France – Grasset 2016, ISBN : 978-2-246-86167-6