La pelle du 11 mars

Bon je sais bien qu’on est en mars et qu’on peut se faire gauler à la pelle par un hiver en frac blanc.

Mais on finit par se dire qu’on n’est pas obligatoirement sur terre pour s’essouffler sur la poudreuse. Ben quoi alors ? Est-ce qu’il neige sur la lune ? Non, je te l’assure, surtout que j’y suis souvent. Et que j’ai même rencontré des lunatiques pour m’affirmer que l’hiver y avait pas mieux sur terre pour se transformer cosmonautes (astronautes, taïkonotes ou déconaute comme tu préfères) pour pas cher avec doudoune et couvre-esclave (variante de couvre-chef). C’est qu’on en aura eu pour nos arpents, derechef, avec une tempête à décorner les boeufs (si tant qu’il en restât). Que ça finit par me gonfler sur la portée de mes nuits blanches.

Je me suis dit que vu nos propensions sportives il était envisageable de proposer un concours de pelles. Parmi les qualités requises, pas question de faire la fine bouche ou de tirer la langue. Hardis les manches ! Et l’huile (de massage) de coude.

La pelle, à Saint-Pierre et Miquelon, y a que ça de vrai, me suis-je dit. En hiver, certes, mais à l’automne aussi. Comment qu’elles se ramassent les feuilles en automne, hein ? L’été, tu la manies par délégation, pendant qu’allongé (exceptionnellement) sur la plage avec ton écran rétro-éclairé, les mioches construisent un château de sable, pelle à la main en s’initiant rapidos aux délices du BTP. Quant au mois de mars hivernal qui nous nous fait tomber du lit une heure plus tôt avec l’heure d’été, avant même d’avoir goûté au printemps, impossible d’y échapper ; la neige s’agglutine au pied des tambours ; ça ouine dans tous les sens ; l’hiver, rond comme une queue de pelle, se moque éperdument que tu te pèles les boules de la vie ou que des cons gèrent… à la pelle, naturliche.

Tout ça pour dire que celui-ci nous tombe sur le colback à nouveau, mais que ça n’est rien à côté de la vague qui submergea Fukushima il y a six ans à la même date et qui provoqua ce que tu sais, avec tout le tremblement. Tout ça nous paraît si loin qu’on finit par oublier, avec nos pelles carrées, bonnets phrygiens dans le poudrin, que la terre est ronde.

Une fois que tu as fini de pelleter devant ta porte, tu peux avoir l’impression que tout va bien.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

11 mars 2017