L’intérêt des coups de cœur, c’est que ça ne prévient pas, plongées inopinées dans des univers romanesques qui embellissent l’ordinaire des immobilisations choisies ou imposées. Je t’ai déjà parlé d’Abdourahman Waberi, l’auteur djiboutien de La divine chanson (chronique sur mathurin).
En 2006 paraissait un petit ouvrage réédité en 2017 en format poche chez l’éditeur Zulma que j’affectionne. Aux États-Unis d’Afrique. « Entre politique-fiction et conte voltairien » annonce la quatrième de couverture. J’en conviens volontiers tant le déroulé est incisif, débridé, percutant.
Imagine un monde dominé par… les Etats-Unis d’Afrique. Voilà une situation perturbante pour tout celui qui croit que l’homme est né après McDo (je résume), plutôt blanc, noir ou jaune d’occasion. Renversant, non ?
Le récit est aussi un regard sur la vie par une jeune femme qui va perdre sa mère adoptive. « C’est ça qu’on appelle la vie ». On croit tout prévoir, tout maîtriser, dans nos vies organisées dans le « tictac » du quotidien. « Quelque chose peut traverser la scène ou l’existence comme une balle perdue. » (p.60) Maya, « une de ces âmes inquiètes à qui le monde des apparences ne suffit pas. » (p.122) Maya est artiste, sculptrice…, « du côté du pauvre, du fou, de l’ange, de l’enfant, du bègue, de l’exclu et ce l’étranger ». (p. 123) Née blanche dans une France sous-développée, élevée dans un monde opulent de négritude. Regards inversés. Que peuvent signifier tous ces rejets de l’autre parce qu’il est différent ? Interrogation souvent éludée chez les nantis de la superficialité.
Imagine un pays qui a de fortes chances d’être le tien, mais nettement dégradé, comme tu imagines le tiers-monde. Maya est sur la trace de sa mère blanche ; elle rencontre ce qui reste des Parisiens (n’a-t-on pas évoqué l’esprit des contes voltairiens ?). Attitude quand ça vous tient : « Les autochtones consomment des surdoses d’identité à s’en éclater la cervelle. » (p. 148) Etonnant, non ? comme concluait Pierre Desproges dans les minutes de monsieur Cyclopède.
Henri Lafitte, Chroniques insulaires
4 mai 2017
Abdourahman Waberi, Aux Etats-Unis d’Afrique – Zulma, 2017 – ISBN : 978-2-84304-795-4