Yves Gourvil, Requiem des aberrations

L’écriture romanesque dépend de la fantaisie de celui qui la porte. C’est ce que je déduisis aisément de l’entretien radiodiffusé d’Yves Gourvil, comédien, metteur en scène, auteur d’un premier roman, alors que nos chemins se croisaient dans un studio de RCF à Vannes, lui pour son premier roman, moi pour Frêle de plume, mon dernier CD. Deux interviews qui se succédaient, dans des contextes différents, chacun prenant le temps d’écouter attentivement l’autre.

J’aurai été intrigué, captivé par ce personnage, portant les ans de l’expérience sous une longue tunique blanche, à la voix radiophonique gouleyante nourrie d’une longue implication au service de la langue française.

Yves Gourvil était l’invité d’une émission de la librairie L’archipel des mots, sous la houlette dynamique et passionnée de Joss et Marie-Thé, deux femmes avec qui se seront tissés les liens de l’amitié, au fil de mes pérégrinations.

Se retrouver successivement micro sous le nez autour de nos passions pour l’écriture, quelle chance ! J’étais tout ouïe.

Yves Gourvil nous offre avec Requiem des aberrations, un roman débridé, pétri d’humanisme (le dénouement du roman ne peut te laisser indifférent). Ça t’empoigne dès la première ligne exclamative ! « Sublime, grandiose ! Immémorial ! Subjugués ! Soyons subjugués ! » (p. 13) On ne s’appelle pas Moïse Chant d’Amour à l’instar des trois personnages principaux, sans déclencher un cantique quantique. Surtout que Moïse est passionné par les opéras de Wagner. La musique vibre au cœur du roman. La truculence du verbe n’aura pas manqué de me faire gambader en parallèle dans le souvenir de René Fallet ou du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier, Yves Gourvil sachant camper la trombine de ses marginaux avec la dextérité des plus grands caricaturistes aptes à révéler l’âme humaine.

Moïse Chant d’amour, Saturnin, le narrateur, Grand Magistral, le 3e comparse, des blazes pareils ça décoiffe, forcément.

Il est un autre personnage, un lieu, dois-je dire, qui joue un rôle déterminant dans l’intrigue désopilante, un entrepôt, le « Vieil Entrepôt ». Une tornade inversée, si tu préfères, génératrice d’un « phalanstère » (p.140) aux envolées lyriques, dans l’omniprésence de la Musique.

Je n’en dirai pas plus, ô lecteur – en particulier de « l’envers du décor » (p.332), car je te devine capable de trimballer tes châsses lectureuses et de t’enivrer de ta propre fulgurance. Ne viens-tu pas de consacrer de précieuses secondes à une chronique « au bois dormant », comme dirait Aragon, qui n’attendait que toi ?

Je relèverai une seule phrase touchant des démarches administratives : « Au fervent argumentaire (…) le commis de l’Etat opposa la compassionnelle impassibilité d’un sphinx désireux de penser très vite à autre chose. » (p.348) Observation percutante, n’est-il pas vrai ?

J’ai été intrigué par l’auteur de ce roman, t’ai-je dit plus haut. Et s’il fallait accorder un prix unique de subjectivité enjouée, tant Requiem des aberrations m’a virevolté l’imaginaire enchanté, je le ferais sans ambages, sans jambages, sans plus ample gamberge, à grands renforts de timbales, de cor et d’olifant.

Wagnérien, non ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

27 juin 2017

Yves Gourvil, Requiem des aberrations, Les éditions du sonneur – 2016 – ISBN : 978-2-916136-95-0

 

Site de l’éditeur : http://www.editionsdusonneur.com

L’Archipel des mots : http://librairie-larchipeldesmots.com