Une fois de plus je me suis laissé emporter par l’écriture d’Eric Vuillard dans une longue chevauchée d’une histoire terrible, celle du génocide indien, abordée d’une manière originale.
Dans son roman Tristesse de la terre – Une histoire de Buffalo Bill Cody -, nous suivons la carrière de Buffalo Bill, homme de spectacle, inventeur du « divertissement de masse » qui aura su exploiter la détresse des Indigènes pour faire fructifier son business de romanichel professionnel. Buffalo Bill « qui a fabriqué la plus grande mystification de tous les temps ». (p.133)
Ce roman haletant remet en scène une époque relativement proche de nous. Avons-nous su corriger toutes les manipulations qui auront prévalu dans notre perception de l’histoire du Nouveau Monde ?
Enfant je me laissais emporter par les aventures trépidantes de Buck John et Kit Carson de mes BD petit format. Sans le savoir l’on me formatait pour applaudir à mon tour l’homme blanc face aux Peaux-Rouges qui, dans leurs assauts, faisaient « claquer leur paume sur leur bouche, whou, whou, whou ! » (p.90) Mais toute cette perception n’aura été que l’effet induit d’une mise en scène dans le prolongement du premier grand spectacle mondialisé. « Ce cri de guerre, ils ne l’ont poussé ni dans les Grandes Plaines, ni au Canada, ni nulle part d’ailleurs – c’est une pure invention de Buffalo Bill » (p.90)
Le Wild West Show – tel était le nom du spectacle – se produisait en Europe, en Russie, le monde découvrait les Peaux-Rouges et le cowboy à franges et stetson. Mais comment ne pas être saisi, en contre-point, par la fin dramatique de Sitting Bull, lui qui aura défait Custer lors de la fameuse bataille de Little Big Horn ! Sitting Bull, malade sera tué le 15 décembre 1890 dans un étau terrible, prélude au massacre des Indiens à Wounded Knee, deux semaines plus tard, dans le Dakota du Sud !
Eric Vuillard sait nous interpeller. Ses récits sont enlevés, nous frappent au plexus pour nous ouvrir à une autre lumière, roman parsemé de formules concises qui nous coupent le souffle. Face à l’Histoire en mouvement, sur quoi repose notre perception ? Pour quelle réalité ?
Henri Lafitte, Chroniques insulaires
19 novembre 2017
Eric Vuillard, Tristesse de la terre – Babel – 2014 – ISBN : 978-2-330-06558-4