Les Transboréales aux rives du récit

Je me souviens d’un temps à présent très… passé, où nous nous retrouvions à l’Île aux Marins dans le frémissement de septembre des derniers soubresauts de l’été. Nous chantions alors, à guichets fermés dans différents lieux. Ce fut une fois au Musée, avant sa restauration.

J’ai plongé dans ces souvenirs en franchissant le seuil de ce haut lieu patrimonial, où s’étaient repliés à cause de la pluie les musiciens prévus pour le premier volet de la soirée de clôture du festival Transboréales. Il fallait se tasser, qui assis par terre, qui debout, tous serrés, heureux d’écouter les artistes, Alexandra Hernandez et Thierry Artur tout d’abord, au moment où j’arrivais par le Petit Gravier qui assurait efficacement ses acheminements de public avide d’enchantement. Belles voix dans une douce complémentarité, notes de basse et guitare tendrement posées, poésie et délicatesse pour le ravissement de tous. Puis MAT qui avait accepté, compte tenu de la demande, de chanter une nouvelle fois. Sans doute pouvait-il mesurer à quel point sa venue sur l’archipel aura marqué les esprits. Succès immédiat, dès le premier titre. Ambiance qui faisait écho à celle de la veille à la forge Lebailly. Applaudissements nourris, joie rayonnante de tous, standing ovation, normal, me diras-tu, pour ceux qui étaient debout, immédiatement rejoints par les autres.

Et nous voilà dans l’église, pour beaucoup fidèles aux rendez-vous musicaux qui s’égrènent au fil des ans, une découverte tout autant magique pour les impétrants. Spectacle de clôture donc, pour découvrir le conteur québécois Fred Pellerin. Et d’être transportés in petto dans la Mauricie bûcheronne, saisis par la naissance d’un petit village, personnages prenant rapidement corps, le curé, la postière, le forgeron, la veuve rousse, ou la roulette rousse, comme tu l’entends, le 5-10-15 du coin (j’entendais ça dans ma jeunesse lointaine), ou le quincaillier comme on dirait aujourd’hui… Âmes ballottées dans leur quotidien et leurs amours souvent interdites quand la religion veillait au grain les délits de bois de lit…

Il aura été bon d’ouvrir ainsi le champ du festival à un registre inhabituel sur nos îles, répandu au Québec, quand le Verbe se déploie dans l’oralité du récit, fougueux, plein d’allant, d’humour, de force narrative. Les réactions étaient à la hauteur, l’église vibrant des rires, de la relation établie avec le conteur, Québec et Saint-Pierre et Miquelon en osmose dans l’imaginaire des péripéties du conte, l’artiste debout dans un cadre approprié à la mise en situation, dans la nuit qui s’était installée progressivement dans la nef, éclairage dirigé vers la Parole. Fred Pellerin nous chantait aussi des textes dans le prolongement d’un village soudain sorti de l’ombre pour ouvrir avec brio la route de l’essentiel, qui me faisait alors penser à une chanson de Georges Chelon : Créer… Pour le bonheur du partage qui donne corps à nos existences collectives, à l’image du festival Transboréales porteur de nouvelles retrouvailles.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

19 août 2018