“Pour des causes collectives fortes” ?

Dans son fonctionnement ordinaire, la société, en France, voulait se persuader que les classes sociales avaient disparu. Le mouvement des Gilets jaunes, qui est entré soudain dans l’Histoire, prouve qu’il n’en est rien. Il y a pour le moins une différence de situation entre ceux qui peuvent faire face aux impératifs du quotidien et ceux qui n’en ont pas les moyens.

Le choix politique porté par les gouvernements récents est de laisser libre cours à la finance. Sur le terrain, la précarité s’en est trouvée amplifiée. Le gel du point d’indice dans la fonction publique, la CSG rognant le pouvoir d’achat des retraités, les revenus souvent en-dessous du SMIC, la remise en cause de la protection des salariés par la loi El Khomri sous François Hollande, accélérée sous Emmanuel Macron, la casse des services publics de proximité, le matraquage des automobilistes… ont mis en place toutes les conditions d’une onde de fond de ras-le-bol et de revendications. Les laissés pour compte des orientations néo-libérales se sont réveillés.

Face à ces urgences, le côté matamore du pouvoir, quand il s’exprime ainsi, révèle sa propension à camper sur son quant-à soi, mais plus fondamentalement son positionnement hautain à l’encontre du peuple dont il devrait avoir le souci premier. « La politique, c’est comme la boxe. Quand vous montez sur le ring, vous savez que vous allez prendre des coups. J’en prends. Je peux en donner aussi. J’aime ça » s’est glorifié Edouard Philippe dans le JDD du 23 décembre 2018. Propos décalés face à l’ampleur des problèmes que les Gilets jaunes ont mis en exergue depuis un mois. Serait-ce un appel à une réponse dans la confrontation ? Mais le ring en l’occurrence est l’ensemble du territoire national. La France a connu des soulèvements qui sont venus perturber sérieusement les assurances des dominants. « Les critiques, je sais très bien qui les formule et à quelles fins. » En quelque sorte le premier ministre ne verrait-il la contestation que comme un sport parisien ?

« Quatre boules de cuir

Et soudain deux qui roulent

Répandant leurs châtaignes

Dans le cri de la foule ». Une pensée pour Claude Nougaro.

« Notre pays (…) a besoin de concorde, d’unité, d’un engagement sincère pour des causes collectives fortes et il faut apaiser les divisions», a déclaré cette fin de semaines Emmanuel Macron lors d’un déplacement au Tchad. Opération Lifting de son image écornée ? Sans doute doit-il prendre enfin toute la mesure – dans l’action concrète -, des mots qu’il emploie, au service d’un peuple qui s’est rappelé à lui.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

23 décembre 2018