Sofia Aouine, Rhapsodie des oubliés

« Dans la vraie vie, celle qui pue la merde, c’est la rue qui nous gouverne et pas l’inverse. » (p.23)

Avec Rhapsodie des oubliés, Sofia Aouine nous fait entrer dans la Goutte d’Or, à Paris, dans le monde… des oubliés, précisément. Avec brio. Dès le premier chapitre, tu es empoigné et ne lâche plus ; tu colles à la peau du pré-adolescent venu du Liban déchiré ; tu l’accompagnes dans son éveil au monde, réalité terrible où les rêves et les désillusions flirtent avec les interdits.

Il est des pages qui te saisissent. Je mentionnerai par exemple le destin d’une jeune fille juive, réfugiée du côté du Puy-en-Velay, pendant l’Occupation et qui, de retour à Paris, ne reconnait plus personne, parce que… Il s’agit là d’un retour en arrière, dans le déroulement d’un récit qui lui, s’inscrit dans la réalité d’aujourd’hui, celle du monde des « oubliés ».

L’écriture évolue avec l’âge et le vécu douloureux du narrateur. L’on est saisi, subjugué par les pages qui soudain nous permettent de mesurer le processus de radicalisation qui s’opère dans cet univers parallèle, Verbe et dure réalité étroitement intriqués. « Est-ce que les tatouages c’est haram ? » (p.98) C’est qu’il y en a des bleus dans la rhapsodie « sur le boulevard des rêves brisés » (p.145). L’on est secoué jusqu’au plus profond de soi.

Ce roman poignant est sorti « des limbes des mots » (p.153) que l’on n’ose pas dire, pour nous interpeller. Pour une musique qui permette de briser le silence de l’insupportable ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

22 octobre 2019

Sofia Aouine, Rhapsodie des oubliés – Editions de la Martinière, 2019 – ISBN : 978-2-7324-8796-0